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Le grand port du Centre et ses non-dits

par Abed Charef

Le futur grand projet du Centre sera financé par un crédit, le premier de cette ampleur depuis de nombreuses années. Quelle en sera la contrepartie et quels sont les dessous de ce contrat?

Le contrat pour la réalisation du nouveau grand port du Centre, prévu à Hamdania, près de Cherchell, à 100 kilomètres à l'ouest d'Alger, a été signé dans une conjoncture très défavorable, ouvrant le risque d'un accord biaisé. La baisse du prix du pétrole et les difficultés financières qui se profilent mettent en effet la pression sur la partie algérienne, amenée à prendre des décisions importantes alors qu'elle est fragilisée par la baisse des recettes extérieures du pays. Au moment où on parle de possible retour à l'endettement extérieur, de dévaluation du dinar, et face au risque de l'épuisement des réserves de change, le gouvernement peut franchir le pas : pour prouver que le pays ne subit pas de contraintes particulières, il peut être tenté par des formules inopportunes, voire dommageables pour l'économie du pays.

L'opacité qui entoure le contrat du port de Hamdania ouvre une porte inquiétante. ?uvre d'envergure, avec 23 quais, d'une capacité de 6,5 millions de conteneurs et de 25,7 millions de tonnes de marchandises par an, ce port est conçu par ses promoteurs comme un «hub» régional. Il sera aussi relié au tissu ferroviaire et autoroutier, et une superficie de 2.000 hectares sera consacrée, à proximité, aux activités industrielles, selon l'ébauche du projet tel qu'adopté par le Conseil des ministres en décembre dernier.

Côté cour, l'image est différente, car la formule retenue pour ce beau projet ne dit pas tout. Le port de Hamdania sera réalisé conformément à un contrat signé le 17 janvier entre, d'un côté le groupe national algérien des services portuaires, et de l'autre, deux entreprises chinoises, la CSCEC (China State Construction Corporation) et la CHEC (China Harbour Engineering Company). Initié selon la formule du 51/49, il porte sur un investissement de 3.3 milliards de dollars.

Interrogations

Raouf Boucekkine, économiste, directeur général de l'Institut d'études avancées d'Aix-Marseille, soulève, dans une étude fouillée rendue publique il y a une semaine, des points d'ombre que suscite le projet. La formulation vague concernant le financement et l'exploitation de ce port, dont la seule construction devrait s'étaler sur une décennie, ne permet pas d'en préciser les contours financiers.

Les partenaires chinois procèdent de manière peu orthodoxe, s'engageant pour de longues périodes sur des projets complexes, dont ils escomptent des bénéfices combinés, contrairement aux firmes occidentales, qui préfèrent délimiter le périmètre et le temps de leur intervention pour mieux calculer leurs profits. Les contrats avec les entreprises chinoises apparaissent dès lors comme des accords «politiques», à l'issue desquels c'est toujours l'économie chinoise, en pleine expansion, qui finit par gagner : en accédant à des marchés, à des matières premières, à de l'énergie, etc.

C'est donc du côté algérien qu'il faut s'inquiéter. La gestion de ce nouveau port sera-t-elle confiée à un partenaire chinois, comme le laissent entendre différentes déclarations ? L'ambassadeur de Chine à Alger a passé de longs moments à expliquer, sur les médias algériens, l'efficacité de la gestion des ports chinois, comme celui de Shanghai, devenu le premier port au monde. La concession envisagée de la gestion du port de Hamdania serait-elle le prix à payer pour accéder aux prêts chinois?

Raouf Boucekkine note d'ailleurs que le projet signe une sorte de retour en catimini vers l'emprunt extérieur, le projet devant être intégralement financé par un crédit chinois. En contrepartie de quoi ? Quels avantages économiques et fiscaux seront accordés au partenaire chinois ?

Craintes légitimes

Cette manière de procéder, en avançant en cachette, comme pour le gaz de schiste, la dévaluation du dinar, suscite des craintes légitimes. D'autant plus que l'Algérie sort d'une série de mésaventures liées aux négociations de grands contrats, dont les échos continuent encore de secouer les tribunaux.

Et, pour couronner le tout, interviennent les traditionnelles défaillances algériennes: mauvaise gouvernance, appréciation erronée de la conjoncture, mauvais choix, faiblesse criarde de l'expertise, absence de contre-pouvoirs susceptibles de mettre le doigt sur les points faibles des choix économiques, etc. Suffisant pour susciter le doute, lequel est renforcé par les méthodes de négociation désuètes en vigueur en Algérie. Ceux qui négocient les contrats ne sont en effet que des exécutants de décisions prises ailleurs. Ils sont habitués à valider les recommandations émises par la tutelle, sans être trop regardants sur le contenu. Il suffit que «le pouvoir politique» décide, et ils s'exécutent docilement. La chronique judiciaire a d'ailleurs confirmé que des aspects autres que les intérêts purement économiques ont joué un rôle central dans la plupart des gros contrats signés durant la décennie écoulée.

Dans les relations avec la Chine, le volet «politique» a toujours été primordial. C'est, visiblement, encore le cas pour le port de Hamdania. Avec toutefois cette réserve: en Algérie, un contrat «politique» est le plus souvent un contrat dont les justifications strictement économiques ne sont pas convaincantes.