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CHRONIQUE ALTERNATIVE - Loi de finances 2016 : beaucoup de bruit, des insultes et des empoignades - L'Algérie entre fonds de commerce idéologique et fuite devant la réalité

par Hamid Temmar

La discussion autour du projet de la loi de finances maintenant adoptée a été l'occasion d'insultes et d'éclats menaçants. D'accusations à l'encontre d'un gouvernement qui aurait succombé à la pression du monde des affaires et voudrait revenir à un libéralisme tous azimuts.

J'ai donc lu avec attention la loi pour comprendre alors quelles étaient les menaces qu'elle faisait planer sur l'économie.

C'est une loi qui est parfaitement inoffensive. Après la loi de finances 2014 qui a introduit quelques assouplissements dans le régime des investissements et certaines facilitations quant au climat des affaires, la LF 2016 marque apparemment la limite au-delà de laquelle le gouvernement ne veut plus aller dans le sens d'une plus grande libéralisation. La loi en elle-même est indicative de l'intention de l'Etat de bien rester sur le terrain.

Il y a une grande différence entre la loi telle qu'elle a été adoptée par le Parlement et l'avant-projet de loi adopté en Conseil des ministres du 9 septembre publié par TSA dans son édition du 15 septembre dernier. Les empoignades semblent avoir eu un impact sur les décisions proposées dans l'avant-projet du gouvernement.

Les mesures présentées, dans l'essentiel, peuvent être regroupées autour de trois préoccupations: les effets sur le pouvoir d'achat, la mobilisation de l'investissement et la promotion de la production nationale. Si la contestation a touché la plupart des mesures proposées, ce sont les deux dernières séries de mesures qui sont apparemment rejetées car considérées comme un retour à une politique libérale.

Le premier paquet de mesures tient au pouvoir d'achat.

Deux points méritent attention.

- La loi considère deux produits de consommation essentiels : le gaz et l'électricité. L'avant-projet de loi proposait un traitement de relèvement des tarifs à l'exception des produits de consommation courante. L'article 14 de la loi adoptée retient que le taux réduit de la TVA sera appliqué à la consommation de gaz inférieure à 2500 thermies et la basse tension inférieure à 250 kWh. Rien n'est dit quant aux gros consommateurs de ces produits. Il faut retenir que ces produits sont largement bon marché dans notre pays, comparé aux pays voisins (respectivement 10 et 7 fois moins chers qu'au Maroc et en Tunisie). Un ajustement était et reste nécessaire.

- L'Article 15 touche au prix du carburant à la pompe qui augmenterait de 5 à 8 dinars pour l'essence (selon la qualité concernée) et de 5 dinars pour le gasoil, soit une hausse moyenne de 37%. Etant donnée la mobilité de l'emploi, la voiture est un instrument de travail et donc la hausse peut grever le revenu du consommateur à la longue. Mais il faut rappeler que le prix des carburants est très faible. Le prix du litre d'essence est 3.5 fois plus cher au Maroc (où le prix des carburants est libre) et 2.8 fois plus élevé en Tunisie tandis que le prix du gasoil est 5 fois plus élevé au Maroc et 3.5 plus élevé en Tunisie. Là encore, les raisons qui militent en faveur d'un ajustement sont nombreuses. La loi précise du reste que l'augmentation continuera à l'avenir «en fonction des situations financières et économiques». Il aurait été nécessaire qu'un prix optimal indicatif soit noté.

- Le prix des vignettes est augmenté selon le type de véhicules (Article 9). La hausse moyenne est de 22% pour les nouvelles voitures, 16.5% pour les véhicules utilitaires et 18.5% pour les véhicules de transport en commun.

Dans l'ensemble, ce sont certes des relèvements relativement importants mais on est loin des mesures qui porteraient une atteinte réelle au pouvoir d'achat des populations et notamment celui des citoyens les plus défavorisés.

A l'inverse, le gouvernement justifie ces augmentations par la nécessité d'accroître les recettes budgétaires à un moment de baisse des entrées budgétaires venant des hydrocarbures. On rappellera que les recettes hors hydrocarbures n'ont constitué pendant ces trois dernières années que 40% des dépenses totales et 65% des dépenses de fonctionnement. Dans ce cas, bien que toute recette supplémentaire soit la bienvenue, les hausses proposées paraissent dérisoires.

Le deuxième paquet de mesures concerne l'assouplissement des conditions de mobilisation de l'investissement. Il s'agit de quatre mesures significatives:

- La modification (Articles 2 et 51) de la mesure obligeant les investisseurs directs à réinvestir au bout de 4 ans l'équivalent des avantages accordés par le CNI. La part des avantages à réinvestir est réduite de 100 à 30%.

- La possibilité laissée aux industriels privés de développer des zones industrielles (Article 58). Ce qui était déjà possible et reste toujours possible au terme de la loi de promotion de l'investissement de 2001. Une mesure qui ne sera pas suivie de beaucoup d'effets, pour deux raisons: d'une part, les hommes d'affaires nationaux n'ont jamais montré un grand enthousiasme à prendre la responsabilité de l'entretien des zones qu'ils occupent, d'autre part, le gouvernement projette de créer 36 zones dites de «nouvelle génération». La possibilité d'intéresser des investisseurs étrangers semble être écartée ; pour mémoire, de nombreux groupes (chinois et arabes) étaient intéressés par de tels projets.

- La loi de finances réaffirme le principe des 51/49%. La Loi 01-03 prévoyait (Article 4 quater) que les entreprises publiques devaient conserver 34% du capital -dans le cas de partenariat à travers l'ouverture du capital (privatisation partielle)- . L'Article 62 de la LF 2016 permet dans le cas d'une ouverture de capital en faveur d'un investisseur national, au partenaire de racheter les 34 % au bout de cinq ans (Article 62). C'est donc bien un retour à la privatisation mais sous conditions et limitée à l'investisseur national. La loi d'août 2001 portant privatisation des EPE n'ayant pas connu de révision, pourquoi recourir à une clause de loi de finances?

Le troisième et dernier paquet de mesures porte sur la promotion de la production nationale.

Deux mesures sont proposées:

- L'Article 52 de la LF 2016 introduit «une imposition à la valeur ajoutée et à la taxe intérieure à la consommation» sur certains produits importés similaires aux biens produits par les filières retenues dans l'article 75 de la LF 2015". Une formulation confuse et difficile à comprendre en termes concrets, les produits n'étant pas clairement indiqués.

Cet article semble indiquer une extension des mesures de protection de la production nationale prises dans la LF 2015. Si c'est le cas, cela renforce le caractère théorique des dispositions de l'Article 75 de la LF 2015. Pour différentes raisons objectives, il est certain que les mesures de protection ne donneront pas de grands résultats.

- La loi de finances complémentaire de 2009 obligeait les investissements -notamment directs étrangers- à se financer sur le plan local auprès de banques nationales. Cette mesure n'est plus applicable systématiquement (Article 55). Le financement extérieur des investissements privés est autorisé «au cas par cas» selon des modalités qui seront précisées. Une décision qui semble indiquer que notre système financier revient à la réalité. C'était en effet une obligation proposée par le ministère des Finances incompréhensible, permettant en somme aux IDE d'utiliser du dinar pour fabriquer des bénéfices dont une partie était transférée donc transformée en devises étrangères.

- La hausse du taux des bonifications par le Trésor des taux d'intérêts des crédits accordés par les banques et les établissements financiers pour le financement de projets d'investissement des PME. Les bonifications sont désormais plafonnées à 3 % du taux d'intérêt (au lieu de 2 % précédemment pour certains types d'investissements), et le bénéfice de la bonification est limité à 5 ans au lieu de 3 (Article 94).

La loi de finances 2016 est donc bien inoffensive. Le pouvoir d'achat du citoyen moyen n'est pas entamé et on est loin d'un libéralisme sauvage. L'Etat maintient ses positions. La loi de finances 2014 qui faisait des ouvertures autrement plus réelles était passée sans grande discussion!

Si le prix du baril ne s'améliorait pas, il faudrait aller à d'autres mesures qui risqueraient de peser sérieusement sur le pouvoir d'achat du citoyen, obliger le gouvernement à aller à une stratégie claire d'une autre nature et la communauté des affaires à changer de comportement.