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Après les attentats de Paris : La tentation du diable

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

Le martyr de Paris a ébranlé les consciences et mesuré la gravité de la menace terroriste sur tout le monde. Reste l'autre menace : celle de lire l'Islam sous le prisme de la violence et suspecter les musulmans comme de potentiels futurs terroristes.

La vague d'attentats terroristes qui a frappé, successivement, Beyrouth, Paris, Bamako, Tunis et l'avion russe, dans le ciel égyptien a bouleversé les cœurs, secoué les consciences et fait douter bien des certitudes. Comment aurait-il pu en être autrement aux yeux et dans le cœur de tout être humain, normalement constitué ? Qui peut rester insensible ou pire jouir du massacre dans l'horreur et le sang de paisibles citoyens à Beyrouth, Paris, Bamako et ailleurs ? Manifester son recueillement à la mémoire des victimes, marquer sa solidarité et son soutien aux blessés et familles des victimes, sans distinction de nationalité, de pays, de foi religieuse ou de couleur de peau est noble, juste et rassure sur la force et la présence d'une espérance dans «l'Humanité.» C'est cette espérance dans le salut de l'humanité que veulent anéantir des monstres tueurs en semant au sein de cette Humanité la haine, la violence, les guerres, en usant et surtout en opposant la magnifique diversité des humains que nous sommes. Ils cultivent le virus de multiples frustrations sociales, politiques, culturelles, exploitent les terreaux de la misère et de l'ignorance pour en faire l'amphétamine qui booste les cerveaux des plus fragiles jusqu'à les transformer en zombie ? kamikaze contre tout être humain sans distinction d'origine, de religion ou de pays. Les terroristes frappent aujourd'hui partout, là où il y a faille, faiblesse, là où cela leur est possible. En revanche, si ces évidences de la nature et stratégie des terroristes sont partagées par tous les peuples sur cette terre, il reste l'autre «menace» plus pernicieuse, plus dangereuse qui guette les esprits et les pensées, parfois les plus rationnels et alimente, justement, l'argument principal du terrorisme : «Eux et Nous», «Eux contre Nous». Par ce simple postulat, la barbarie terroriste se taille un statut d'égalité partagé entre «Nous» qualifiés d'infidèles et «Eux» les vertueux. Ainsi, l'humanité est partagée entre deux adversaires d'égale importance qui s'affrontent pour la suprématie de l'une sur l'autre. L'équation est posée et il va falloir la résoudre. Sauf que les termes de cette équation sont posés sous le piège d'une logique infernale : le multiplicateur de la violence terroriste est identifié dans l'Islam et les musulmans, en tant qu'ensemble entier (homogène). D'où l'absurde théorie de l'affrontement des civilisations transmuté en affrontement des religions. Comme si la civilisation humaine (et non les civilisations humaines) relève de la seule référence à la foi religieuse. Du coup, cela explique, quelque part, le formidable élan de solidarité internationale à la ville de Paris martyrisée, Paris ville lumières, Paris accoucheuse de la république égalitaire et fraternelle, mère spirituelle des droits de l'Homme et de la démocratie, égérie de la liberté. La solidarité avec Paris a sonné le réveil des consciences et rappelé les morts de Beyrouth, Bamako, Tunis et d'ailleurs. Nul reproche donc à ceux qui ont manifesté leur solidarité à Paris et ont «omis» de le faire pour Beyrouth, Bamako, Tunis et plus loin Alger lorsqu'elle expiait, dans la solitude, son martyre. La solidarité avec le martyr de Paris a sonné l'alerte du monde pour qu'il soit solidaire avec toutes les victimes de la Barbarie où qu'elles se trouvent sur cette terre. Tant mieux et mieux vaut tard que jamais. Et c'est dans ce sens que les débats en cours sur la présence musulmane en France et en Occident, d'une manière générale, ne doivent pas tomber dans les rets de l'idéologie (si tant est qu'on peut la qualifier ainsi) des monstres tueurs de Daech, El Qaeda et ses sous-traitants qui brandissent leur devise «Eux contre Nous», sous-entendus qu'ils défendent les musulmans. Non, les terroristes de Daech, El Qaeda et consorts ne sont pas des musulmans. Non, les musulmans ne sont pas de potentiels candidats terroristes. Non l'Islam n'est pas une religion barbare et violente. Combien de spécialistes autoproclamés de l'Islam ont lu et connaissent le Coran, sa rhétorique et l'histoire, la sociologie et la diversité du monde musulman ? Combien de promoteurs de la guerre des civilisations et des religions ont étudié la Bible et le Coran, l'histoire de la civilisation humaine (faite des strates de la civilisation antique, grecque, arabe, byzantine, occidentale, etc.) pour en déduire à la fin de l'histoire humaine face au fléau de la bête immonde du terrorisme en l'identifiant à l'Islam séculier ? Non, l'horreur de Paris n'est pas l'islam et les musulmans comme l'horreur d'Alger et de l'Algérie n'a jamais été une œuvre de l'Islam. Aujourd'hui, il est plus que vital pour les musulmans, d'abord, de se manifester et de crier par la force de l'argument que la violence terroriste est une abjection de l'Islam, d'appeler à la mobilisation, voire même s'engager sur le terrain de la guerre contre Daech, El Qaeda et ses filiales, de se battre pour la liberté, une et indivisible, pour tous pour que, espérons-le, les non musulmans, chrétiens, athées, bouddhistes, agnostiques, juifs, libertaires ou tout autre conviction ou croyance arrivent à entendre les musulmans et le message de paix qui est le leur. Sans ce réveil des consciences qui isolera les terroristes dans leur statut de «tueurs sans foi ni loi», sans la vigilance permanente des élites, penseurs, médias, politique à ne pas confondre et faire l'amalgame entre la foi du milliard et cinq cents millions de paisibles musulmans et la folie meurtrière de schizophrènes de Daech et compagnie, le monde ne se débarrassera de si tôt du terrorisme et de la violence.