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Journée de l'entreprise algérienne : Des constats et des recommandations

par M. Aziza

Rafik Bouklia-Hassane, professeur à l'université d'Oran, a affirmé hier, lors de la présentation des conclusions de son étude sur « la diversification de l'économie nationale », que le choc pétrolier a mis l'Algérie dans une situation très délicate. Il alerte : « On risque sérieusement de perdre notre avantage macro-économique ».

Le professeur a expliqué dans les détails, lors de son intervention à la 4e édition de la Journée de l'entreprise algérienne, organisée par le FCE, à l'hôtel Aurassi, qu'aujourd'hui, « nous avons une fiscalité pétrolière à la baisse, nous avons un déficit public qui se creuse de semestre en semestre, un fonds de régulation qui est dans une trajectoire d'extinction ». Et de poursuivre, « sur le commerce extérieur, nous avons une balance de paiement qui se dégrade, en déficit de 8 milliards de dollars uniquement pour le 1er semestre 2015. Des réserves de change se réduisent et un dinar, qui suit naturellement la conjoncture, se déprécie ».

A la question de savoir si on est en face d'un choc pétrolier ou devant une transition énergétique ? Abdelmadjid Attar intervient du fond de la salle pour préciser : « Ce qu'il faut savoir, c'est que cette crise ne peut se régler que d'ici 2020, pour des raisons évidentes ». Et d'expliquer que la période de transition énergétique concerne aujourd'hui les pays consommateurs, car ils consomment moins et font des économies. Et leur modèle de développement est basé sur une consommation de moins d'énergie. Et de conclure que le choc pétrolier concerne les pays producteurs, la consommation énergétique est plus forte, l'exemple de notre pays qui est le pays le plus énergivore en Méditerranée.

Qu'est-ce qu'il y a en face ? Une économie faible selon les résultats de l'étude faite par le professeur Bouklia-Hassan. Le diagnostic structurel, présenté par le professeur, a démontré que l'évolution de l'économie algérienne n'a pas suivi un court normal. Il a été précisé que le glissement naturel et attendu du secteur de l'agriculture vers le secteur de l'industrie n'a pas été fait, malgré une grande perte des mains-d'œuvre dans le secteur de l'agriculture. Les chiffres confirment cette donne (la part de l'emploi dans l'agriculture était de 40% en 1973, elle n'est plus que de 9 à 10% en 2014). Une main-d'œuvre, qui devrait faire un cheminement normal vers le secteur de l'industrie, s'est éparpillée dans la nature.

Il a été noté une baisse dans le secteur de l'industrie dans notre pays.

Une simple comparaison a démontré que l'Algérie a moins de 10 points par rapport à l'industrie des pays de la région. Et elle a 4 points de moins par rapport aux pays producteurs de pétrole, ceux ayant une économie similaire à la nôtre.

En ce qui concerne les importations, le professeur a précisé que nous avons une dégradation du taux de couverture du marché intérieur, « nous importons deux fois pour un produit fait localement» et bien évidemment pour des exportations qui sont faibles et qui ne sont pas souvent régulières, « ils ont une durée de vie qui ne dépassent pas les 18 mois ».

Le réalisateur de l'étude a également évoqué notre faiblesse en matière de services, l'Algérie est en deçà de la moyenne des pays de la région MENA, en termes de balance de paiement. Et de préciser que nous importons autour de 10 milliards de dollars «des services qu'on peut développer dans notre pays ».

Le professeur a avancé certaines pistes qui sont à la portée de notre pays; il cite le secteur de la pétrochimie qui peut nous garantir cette diversification. Il a estimé anormal que l'Algérie vende uniquement du brut et il a trouvé anormal qu'il n'y ait pas une industrie solide en pétrochimie, dans notre pays. Il a cité l'exemple de l'Arabie Saoudite qui exporte chaque année 7 milliards de dollars des produits pétrochimiques et l'Iran qui, avec tous les problèmes que connaît ce pays, exporte des produits pétrochimiques à hauteur de 1,2 milliard de dollars.

Le professeur a également évoqué la possibilité d'exporter les fertilisants, citant le cas du Maroc qui s'est fait une place importante sur les marchés mondiaux en exportant du phosphate.

Le conférencier conclut qu'on ne peut aller loin dans le développement de notre industrie si on n'a pas une croissance soutenue, au moins 8% sur une période de 5 ans de la part de l'industrie dans le PIB.

Pour lui, l'Etat a un rôle qui consiste à protéger l'innovation et soutenir les activités génératrices de richesse. Pour diversifier notre économie, le professeur a recommandé une politique de ciblage basée sur les choix des filières à développer.

Il précise qu'il n'est pas question seulement de recommandations, puisque l'expertise existe, « on peut même acheter une expertise industrielle auprès des bureaux de conseil, de produire la meilleure étude et les meilleures recommandations ». Mais le problème est dans la concertation, « on ne parle pas de la démocratie économique en termes philosophiques, mais on recommande tout simplement de la concertation pour produire un flux d'informations le plus exhaustif possible, qui permette de cibler les politiques économiques afin qu'elles soient efficaces » car, et selon le professeur, la diversification est un processus ardu.

Pourquoi l'Algérie n'a pas utilisé la technique de l'offset ?

Le professeur Mohamed Cherif Belmihoub, économiste conseiller auprès du FCE, s'est interrogé pourquoi notre pays n'a jamais utilisé la technique de l'offset, notamment dans les commandes publiques d'importation.

Il explique quand on est acheteur régulier d'un fournisseur sur plusieurs années, on est en droit de lui demander d'utiliser la technique de l'offset. Une technique qui donne la chance à l'acheteur d'avoir des avantages sur le marché, là où il fait de grandes commandes. Soit placer ses produits, ou imposer un transfert technologique effectif dans son pays.

L'économiste a précisé que le ministère de la Défense a des commandes très importantes, le secteur des transports aussi a des commandes qui coûtent très cher, le ministère de l'Energie, lui, a des commandes presque régulières, Sonatrach achète massivement des équipements, pourquoi ne pas imposer cette technique aux fournisseurs. Et de souligner que la Chine a utilisé cette technique sur son principal fournisseur (les Etats-Unis) durant 20 ans, au point où les Etats-Unis ont arrêté cette technique après avoir constaté que la Chine la « dépouillait » en matière de transfert technologique.

«NOUS N'AVONS PAS DES OFFRES D'EXPORTATION»

L'industriel Salah-Eddine Abdessemed, vice-président du FCE, a affirmé qu'il est aujourd'hui difficile de parler de diversification de l'économie nationale, sans parler du climat des affaires et du cadre juridique.

Il a précisé que nous avons 8.500 entreprises et que nous avons une moyenne de 20 entreprises pour 1.000 habitants. Alors que chez nos voisins, la moyenne est de 50 entreprises pour 1.000 habitants. Dans la région du MENA, c'est autour de 100 entreprises pour 1.000 habitants.

Cette situation est le résultat, selon ses propos, du climat défavorable qui ne cesse de se renfermer et ce, depuis 2002. Plus de 60% des entreprises ont été créées avant cette date, a-t-il souligné. «Malheureusement, ce cadre législatif d'attractivité économique pour l'entreprise locale, également pour les IDE, s'est refermé au fur et à mesure avec des dispositifs plus contraignants, à la faveur de lois de finances complémentaires, des lois sectorielles», a-t-il ajouté. Poursuivant son réquisitoire, l'industriel a affirmé que même en termes d'exportation, le dispositif légal n'encourage pas l'exportateur. La preuve, un millier de produits exportables ont une durée de vie qui ne dépasse pas les 18 mois. C'est-à-dire, ces produits ne sont pas régulièrement exportables, pour des problèmes qui sont parfois liés au rapatriement des bénéfices par la Banque centrale.

Le conférencier va plus loin, en affirmant que le dispositif d'exportation est inexistant. « Il n'y a pas d'assurance proprement dite et nous n'avons pas de banques qui accompagnent ces exportateurs. Une représentante du ministère de l'Agriculture réagit pour affirmer que nous n'avons pas malheureusement « des offres d'exportation ».