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Passeport story et l'attentat à retardement

par Kamel Daoud

Le protocole est sinistre : le 11 septembre, on se pose la question de «qui sont les morts ?». Le 12 septembre, on s'interroge sur «qui sont les tueurs ?». Et là, c'est un long chemin vers le pire ou la consternation. Doutes, paranoïa, compassion ou analyses sans fin sur la république sécuritaire ou la démocratie trop faible. Comme dit hier et depuis les premiers moments des attentats, Daech a une stratégie de propagande intelligente, en avance sur les autres : images, mises en scène des meurtres, vidéos et esthétique de la terreur. Pour la France, dernier attentat sur la liste des horreurs que commet cette nébuleuse, on a ciblé des vies et un mode de vie : stade, sport, musique, terrasse de café. On l'a bien compris ailleurs. Mais l'histoire n'était pas close avec la déflagration. La «passeport story» était aussi calculée. Peut-être ? Oui, mais presque sûr : si on retrouve des passeports sur les corps des tueurs, ce n'est pas à cause de la fameuse théorie du complot mondial qu'accentue l'effet poubelle d'Internet et qui fait ravages sur les esprits dans le monde dit «arabe», mais parce que l'assassin veut sa signature. On prend son passeport pour aller en voyage ou aller vers la banque, pas pour commettre un attentat. Les stratèges de Daech ont ciblé la France pour transformer ses diversités en sources de tensions et donc de recrues pour eux, mais il leur fallait aussi fermer les portes aux réfugiés, déjà déclarés impies il y a des mois. Le passeport syrien, que l'ont dit maintenant faux, ayant appartenu à un soldat syrien tué, ou vrai ayant appartenu à un réfugié, est la dernière bombe à retardement de ces attaques. Il «signe» et donne de l'argument aux extrêmes droites de l'Occident. Exactement ce que voulaient les stratèges de la terreur avec ce genre de traces sur les lieux des crimes.

Aujourd'hui, soumises à la peur, il est impossible pour les opinions occidentales de déchiffrer l'attentat permanent sous «l'accident» du passeport retrouvé. Personne n'est capable de distinguer l'artifice ou de s'interroger sur cette histoire des passeports avec lucidité. Le mal est fait et les réfugiés qui fuient Daech et les tortionnaires de la famille des Assad resteront dans la prison syrienne et devront choisir leur camps et offrir leur chair pour les canons. La guerre devient close, la conscription est inévitable.

La passeport story a déjà donc eu ses effets. Elle va tuer encore plus, des milliers de gens qui mourront en mer, en terre et dans les batailles. Daech a toujours été façonné par le dessin d'une nouvelle cartographie et il le fait avec du sang et des ruses.

Pourquoi écrire cela en priorité et ne pas parler sur «qui est le père de Daech ?» et sur ces analyses sur la responsabilité de l'Occident dans ce qui lui arrive ? Parce que c'est urgent : il faut sauver des vies, avant de sauver des thèses. Aujourd'hui, il faut expliquer aux gens qui ont peur, participer, humblement, à guérir la peur et éviter le pire. Même à échelle de quelques mots.