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Attentats de Paris : Guerre contre le terrorisme et ambiguïtés

par Ghania Oukazi

La France s'est déclarée depuis hier en état de guerre contre des terroristes auxquels le monde entier a accepté d'accorder le statut «d'Etat».

Fini et bien loin le temps où les Algériens se faisaient tuer par centaines pratiquement tous les jours, et la communauté internationale, pour toute compassion, les interrogeait sur «qui tue qui» en Algérie. Aujourd'hui, selon les politiques occidentaux, il n'y a plus ce droit à l'erreur sur l'identité des terroristes. Le président français l'a démontré hier par la preuve tangible de l'accusation directe de Daech dans les 6 attentats qui ont frappé vendredi soir la capitale française. Cette nouvelle apparence des terroristes, avant d'inquiéter de par le crime qu'elle sème partout dans le monde, a fait réfléchir en particulier la France intellectuelle et politique sur son appellation. Les français ont alors refusé de l'appeler E.I. (Etat Islamique) comme elle se présentait mais ont accepté de retenir comme telle, Daech, sans se soucier de la traduction de cette dénomination qui signifie exactement la chose rejetée (Etat islamique). François Hollande a dévoilé l'identité des responsables des attentats de Paris avant même que Daech ne les revendique. L'Etat islamique a effectivement reconnu le crime qu'il a semé sur tout un parcours de la capitale française, du 10ème au 11ème arrondissement en faisant un détour par le Stade de France, faisant 128 morts en quelques heures. De fortes explosions ont fait vibrer le stade où se trouvait Hollande avec son staff officiel. L'Etat français a subi un véritable affront des groupes dont la force de frappe « militaire » ne fait plus aucun doute. Le président français a d'ailleurs qualifié les terroristes d' «armée de guerre.»

«C'EST UN ACTE DE GUERRE»

Dans son intervention hier, Hollande a déclaré que la France se devait de prendre des décisions fermes pour y faire face. « C'est un acte de guerre et face à la guerre, le pays doit prendre des décisions appropriées ». C'est la première fois dans l'histoire de la Vème République que les dirigeants français décident de fermer les frontières de leur pays après des attaques meurtrières, au risque de remettre en cause une configuration -l'espace Schengen- européenne qui a eu de la peine à se mettre en place. L'on se rappelle qu'après l'attentat contre Charlie Hebdo, l'une des actions que les Français ont qualifiée de spectaculaire pour faire face au terrorisme et en dénoncer les tueries, la marche des dirigeants du monde dans Paris avec en première ligne le président palestinien Mahmoud Abbas et l'Israélien Benyamin Netanyahu. C'est comme pour montrer que la question palestinienne ne devait plus se poser dans ce nouveau monde en guerre contre le terrorisme. D'ailleurs, le conflit israélo-palestinien a été mis entre parenthèses devant le nombre de guerres déclarées notamment dans la région. C'est à peine si l'Occident se rappelle qu'il y a quelque part un génocide qui est commis par Israël contre un peuple sans aucun moyen de défense.

Entre toute autre solution, l'Union européenne a daigné tant bien que mal accepter que les produits des colons soient étiquetés pour des raisons de boycott?

LA GUERRE N'EST PAS NOUVELLE

Exceptés les dirigeants voyous qui érigent le terrorisme en doctrine d'Etat, les terroristes de Daech, et avant eux d'Al-Qaïda, ne marchent pas. Ils attaquent et signent leurs fautes. Il n'y a aucun changement de stratégie entre les attentats contre Charlie Hebdo, ceux qui ont suivis le même jour à l'exemple de l'attaque d'une synagogue, et ceux perpétrés vendredi soir au Stade de France ou au Bataclan. Ou alors même ceux qui ont endeuillé l'Algérie pendant de longues années. Les terroristes veulent frapper les esprits par la férocité de leurs méthodes et le nombre de morts qu'elles engendrent. La France a donc déjà vécu l'expérience des crimes terroristes en série en un temps record. Ses services de renseignement ont dû d'ailleurs se « familiariser » avec la présence de terroristes sur le sol français depuis que la France savait qu'elle en abritait les bases arrières qui commanditaient les attentats contre l'Algérie. La guerre n'est ainsi pas nouvelle.

Cependant, aujourd'hui plus que jamais, la France se doit d'être sur le pied de guerre. Elle se devait de l'être particulièrement depuis qu'elle est entrée en guerre un peu partout dans le monde. Elle a été à l'origine de la résolution qui a poussé les forces atlantiques à intervenir en Libye ; elle a une présence militaire dans toute la région de l'Afrique francophone au nom de la France-Afrique, et autres au Moyen-Orient comme en Syrie. Des ministres du gouvernement de Manuels Valls ont même signé il y a quelques mois une lettre dans laquelle ils affirmaient que des militaires français étaient présents en Algérie avant de se rétracter et retirer l'Algérie de la liste.

LES RAISONS DE LA VIOLENCE ET LES POLITIQUES ETRANGERES

C'est ce genre « d'erreur » ou de vraies fausses confidences que Paris aime à faire pour mettre les pays visés en difficulté ou devant le fait accompli. Le ministre français de la Défense l'avait bien démontré il y a quelques années, en annonçant unilatéralement qu'Alger avait accepté de laisser traverser son espace aérien par les avions de l'armée française pour aller « combattre Daech » au Mali. La politique extérieure de la France ne semble avoir aucun tabou.

La première question qui vient à l'esprit est que si la France officielle sait combien de Français sont partis pour rejoindre les rangs de Daech en Irak et en Syrie, comment ne sait-elle pas qui fait quoi chez elle surtout quand ses officiels font état de complicités internes dans les attentats de Paris.

Paradoxes des temps modernes, les pays occidentaux, en premier la France, savent qui achètent le pétrole vendu par Daech, les groupes industriels qui l'alimentent en équipements sophistiqués de transports et de transmissions, ceux qui lui vendent des armes en grande quantité. Le groupe des 20 se réunit aujourd'hui en Turquie mais n'aura certainement pas le courage de dévoiler les identités des Etats occidentaux acheteurs. Les enjeux géostratégiques sont trop importants. La déflagration préméditée et commandée des pays du Moyen-Orient, des pays arabes et musulmans, a servi à précipiter le monde dans toutes sortes de guerres, du terrorisme transnational, à la cybercriminalité, aux complots, à la vente de drogues et d'armes, tous les apports ont été garantis pour créer les conditions d'une troisième guerre mondiale. L'entrée en lice de l'armée russe en Syrie a en toute évidence provoqué un basculement des forces existantes en faction dans ce pays. Alors que depuis qu'ils ont décidé d'aller en guerre contre le terrorisme en Syrie, les pays de la coalition n'ont toujours pas tranché la question de qui doivent-ils combattre en premier, les terroristes de Daech ou le président syrien Bachar al-Assad. Dans ce semblant d'hésitation qui prouve que les intérêts géostratégiques, au risque de s'entrechoquer terriblement, passent avant le droit des peuples à être souverains pour décider de leur avenir et du choix de leurs dirigeants, la Communauté internationale se permet de souffler le chaud et le froid et d'entretenir des ambiguïtés dont les effets se tournent parfois contre sa propre société.