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L'Arabe de service

par Khaled Bensmain

En ce mois de novembre qui scella définitivement, il y a 61ans, le destin de la France en Algérie, et dans le marasme ambiant, une information sportive, pas seulement, vint nous mettre un peu de baume au cœur.

Le footballeur du Porto de Lisbonne l'Algérien Yacine Brahimi refuse d'aller jouer en Israël. La nouvelle a de quoi nous réjouir nous, qui quelques jours plutôt, étions tristes et déçus par la décision de Merzak Allouache de se rendre au festival du film de Haïfa. Sa "révolte" contre "les tentatives de caporalisation et d'intimidation" dont il se sentait victime de la part de l'Etat algérien ne nous convainquit pas, lui qui ne crachat jamais sur les subsides du "régime" pour réaliser ses films. Ce fait précédé du voyage de Boualem Sansal et d'autres intellectuels arabes en Israël nous renforce dans notre conviction que ce pays considère les intellectuels du monde arabes comme le ventre mou de leurs société et que c'est sur eux que doit se concentrer tous leurs efforts. Plus précisément, si normalisation il y a, elle ne peut être amorcée que sous l'angle de la culture ou du sport tant le refus des peuples arabes à accepter Israël est grand. Pour l'Etat sioniste, l'échec des "paix signées" ainsi que celui de "l'installation de bureaux de liaison, d'intérêts ou de représentation commerciale" l'instruisit qu'il fallait que les mentalités de ces peuples évoluent pour plus de bienveillance à son égard. Il cible alors les élites de ces pays, converties à la religion de l'universel et en quête de reconnaissance et de notoriété internationales, pour les charger de cette transformation des mentalités. Malgré ce nouvel échec programmé, il reste que certains "intellectuels" ou athlètes n'hésitent pas à braver l'interdit collectif pour lui tendre la main et cela, au moment les plus forts de la répression, car c'est en ces instants qu'il ressent la nécessité d'être dédouané aux yeux du monde pour ses actions criminelles.

En effet, alors que les regards du monde sont braqués sur ce qui reste des quartiers arabes de la ville d'Al-Qods, vidés de ses habitants palestiniens, et sur Al-Aqsa menacée de destruction et dont l'accès au culte y est interdit pour la majeure partie de sa population. Au moment où des dizaines de morts au quotidien et des centaines de blessés sont enregistrés en Cisjordanie et particulièrement dans la ville sainte, où les habitants défendent avec héroïsme, leur présence. Alors même que l'opinion internationale, d'habitude favorable à Israël, commence à se poser des questions sur son soutien à l'Etat sioniste et partant sur sa responsabilité dans les crimes contre l'humanité que Merzak Allouache, apporte par sa présence au festival du film de Haïfa, un cachet d'honorabilité à une politique menée par des criminels de guerre. Il ne saurait ignorer ce qui s'est passé à Ghaza les massacres israéliens de l'été, qui ont fait plus de 2300 morts, dont 500 enfants, et plus de 11000 blessés dont un grand nombre ont dû être amputés au moins d'un membre et où des armes prohibées par les traités et conventions internationales furent utilisées. Ces faits couverts par tous les journalistes et toutes les chaînes de télévision horrifièrent le monde. De même que les assassinats ciblés des personnalités palestiniennes ainsi que les meurtres prémédités des "lanceurs" de pierres, seules armes en leurs possessions pour défendre leur terre, leur dignité. Il connaît, sans aucun doute, l'histoire de la colonisation de la Palestine et les spoliations dont furent victimes ses habitants. De leur détresse et de leur misère, de leur abandon par tous et en particulier par l'Europe, suffisamment culpabilisée pour ses responsabilités dans le malheur des juifs par les marchands de la "Shoah" qui ont en fait un fond de commerce. Avait-il besoin de s'associer à tous ceux qui constituent l'arrière-ban d'Israël mobilisé pour sa défense par la hargne, la haine et la falsification de l'histoire. Imposteurs de la pensée, faux historiens et racistes impénitents et fielleux engagés dans l'ultime croisade contre les Arabes et les Musulmans. Ce combat de l'infamie ne se satisfaisait-il pas d'une Oriana Fallaci, d'un Finkielkraut ou d'un Houellebecq pour qu'un Merzak Allouache ou un Boualem Sansal, y mettent du leur ? Il ne suffit pas d'avoir compris que la reconnaissance internationale pouvait se passer du mérite et que la simple complaisance à l'égard de l'Etat sioniste pouvait sortir le candidat à la notoriété, de l'ombre à la lumière, pour préférer sa carrière à son honneur. Parce qu'il n'y a aucun honneur à apporter sa caution à un Etat voyou qui non content de défier toutes les lois et conventions internationales, estime que son existence dépend de l'éradication de l'autre. De petits gestes, aussi symboliques soient-ils comme détourner la tête ou se taire devant les crimes d'Etat qui endeuillent tous les jours la Palestine, casser du Palestinien ou de l'Arabe, sont appréciés et dûment rémunérés à l'aune de l'ignominie. Ces appuis, surtout s'ils sont " arabes ", sont vivement recherchés par Israël qui est de plus en plus critiqué par une grande partie de l'opinion publique internationale, qui commence à revenir sur son appui aveugle à l'entité sioniste. En novembre 2003, un questionnaire de la Commission européenne annonce que 59% des Européens pensent qu'Israël est le pays le plus menaçant pour la paix dans le monde. L'information tétanisa les gouvernements européens auxquels elle rappela de vieux souvenirs pour lesquels ils payent encore une dette qui n'est pas prête d'être soldée, et consterna Israël qui, pour la première fois de son existence, se voit pointée du doigt. A la suite de cette consultation et à l'appel de la "Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israël", lancé par les Palestiniens, un mouvement de boycott d'Israël intitulé "Boycott, Désinvestissement, Sanction" (B.D.S.)est lancé et connaît une montée en puissance qui ne laisse pas d'inquiéter l'entité sioniste. Cette campagne de boycott vise à obliger Israël à "mettre fin à son occupation et à sa colonisation des terres arabes, à respecter l'égalité complète pour les citoyens arabo-palestiniens d'Israël et le droit au retour des réfugiés palestiniens".

De nombreux militants européens sont, sous l'effet des pressions des lobbies sionistes, déférer devant les tribunaux "pour menées antisémites". Enfin à cette vague de boycott vont s'agréger de nouvelles forces qui, sans relations structurelles avec B.D.S. vont grossir ce mouvement de contestation de la politique israélienne. Ainsi, des universitaires et des artistes, particulièrement en Grande Bretagne, vont s'engager à n'avoir plus aucune relation avec Israël tant que ce pays ne se conformera pas au droit international (The Guardian, 27 oct 2015 et 13 fév 2015). Ils estiment que l'armée israélienne est également mobilisée sur le front culturel en procédant à la destruction des infrastructures culturelles palestiniennes et en utilisant les siennes, comme "ambassadrices à travers le monde, pour promouvoir le "label Israël ". Enfin Richard Falk, le rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés, accuse le gouvernement israélien "d'intentions génocidaires envers les Palestiniens" et il "considère que toutes les entreprises qui opèrent dans les colonies de peuplement israéliennes ou traitent avec elles (...) devraient être boycottées ". Il demande à la "société civile" dans chaque pays de mener "de vigoureuses campagnes de boycottage, de désinvestissement et de sanctions" à l'encontre de ces entreprises. Pour avoir osé critiquer la politique israélienne, il est taxé d'antisémitisme lui qui est de confession juive.

C'est dire combien est précieuse la présence "d'intellectuels arabes" invités en Israël. Une véritable bouffée d'oxygène qui contribue à accréditer la mystification israélienne selon laquelle ce dernier est un Etat démocratique, respectueux des droits de l'homme et des libertés menacées par des terroristes. Elle participe à dissimuler la réalité d'une politique israélienne dominée par la torture, le meurtre, l'exclusion et le racisme. Surtout que le combat mené par les intellectuels palestiniens, auprès des sociétés civiles européennes contre cette imposture, commence à porter ses fruits. La voix des Palestiniens devient de plus en plus audible. Le nombre de pays européens qui commencent à reconnaître la légitimité de la résistance palestinienne et l'existence de fait de cet Etat augmente de jour en jour.

Et pourtant, Allouache est de la génération qui a connu les sacrifices des Algériens pour mettre un terme à 132 ans d'occupation française. Son pays a vécu les affres du colonialisme et toutes les formes de dépossessions dont la terre et l'identité ne furent pas les moindres ? Il doit avoir cela en mémoire, non pour ressasser les malheurs qui frappèrent notre pays durant l'occupation française mais pour rester attaché au combat de nos aînés, à leurs mémoires, à leurs immenses sacrifices non seulement pour l'indépendance de l'Algérie, mais pour la liberté de tous les peuples dominés. Notre combat était également pour la Palestine comme il l'était pour l'Angola et le Mozambique. Aujourd'hui, devant les crimes, les démolitions de maison, les emprisonnements et les tortures, les Palestiniens appellent à ce que des consciences libres évoquent leur nuit interminable et dénoncent l'injustice dont ils sont victimes et qu'elles témoignent de leur drame et des épreuves qu'ils endurent. N'entendent-ils pas, Merzak Allouache et Boualem Sansal, monter du fond des prisons israéliennes les cris et les plaintes de ces justes qui ne veulent pas mourir deux fois ; l'une sous la torture et l'autre par le silence coupable de leurs frères ? Ne perçoivent-ils pas leurs appels afin que leurs geôles ne soient pas finalement des tombes pour leurs rêves et leurs espoirs ? Et ne s'attendent t-ils pas à être les porte-paroles de leur révolte, eux, le cinéaste et le poète, l'écrivain et le tribun. A défaut de les aider, qu'ils ne les accablent pas en apportant leur caution à la ségrégation raciale qui sévit en Palestine, sous couvert de l'universalité de la culture, l'innocence de l'art ou la neutralité du sport. Le peu qu'ils puissent faire est de respecter leur combat qui passe par le boycott de l'Etat hébreu comme le déclara le cinéaste Lyes Salem, dont le film "l'Oranais" était programmé à Ashdod en Israël et qui prit contact avec des artistes palestiniens pour connaître leur avis. Ils lui firent savoir qu'ils tenaient "fortement à ce boycott" car "cet acte est d'une grande importance pour la cause palestinienne". "Je me range" dit-il "de leur côté, parce que malgré toutes les nuances que je pourrais apporter, c'est tout d'abord à leur camp que j'appartiens". (T.S.A. 30 /05/2015).

Parce que c'est bien de cela qu'il s'agit : d'un boycott qui renvoi à la responsabilité morale de l'artiste vis-à-vis de valeurs universelles telles que la liberté et les droits humains. Comment peut-il revendiquer cette "liberté de pensée et de création", qu'il invoque pour justifier sa présence dans un pays qui nie jusqu'au droit à la vie aux Palestiniens. Sa présence n'est pas seulement un acte de solidarité envers les assassins d'enfants, et les criminels de guerre mais également un désaveu des actions de boycott que mènent des militants des droits de l'homme, en Europe et particulièrement en France et en Belgique, et qui leur coûtent d'être régulièrement assignés devant la justice de leurs pays.

Il nous importe peu de connaître la nature de ses relations avec le ministère de la culture, dont il fait endosser, en passant, la responsabilité de sa forfaiture, que son rapport à la révolution palestinienne. Il s'agit moins de ses préoccupations que des attentes de tout un peuple, les palestiniens, qui puisent leurs forces aux sources du premier novembre ou de ses appréhensions sur les " procédures (qui) préparent peut-être, à mon (son) encontre, une mesure d'interdiction de tourner en Algérie". Il lui suffit d'interroger les Algériens sur cette question pour savoir ce qu'ils pensent de sa visite en Israël et de leur attitude à l'égard de ses productions, lui "qui assume la présence de mon (son) film dans ce festival". Il ne faudrait peut-être pas qu'il s'étonne si ses films sont boycottés comme le sont les entreprises, réalisateurs, comédiens, sportifs, journalistes ou écrivains qui contribuent à assurer une certaine respectabilité et à rendre invisible les crimes d'Etat de l'entité sioniste.

Qu'il ne se formalise pas si, dans le contexte actuel - plus de cent morts et des centaines de blessés Palestiniens en moins d'un mois - son souhait "que les opinions contraires que je respecte quand elles s'expriment sereinement" ne soit pas exaucé. Comment peut-il l'être alors que des enfants, des femmes, des vieillards sont assassinés quotidiennement par la soldatesque sioniste.

Après l'extinction des lampions du festival du film de Haïfa, Merzak Allouache, le réalisateur algérien du film " Madame courage ", présent à cette manifestation pour défendre, comme il le prétend, "sa liberté d'expression" menacée par l'Etat algérien va se retrouver face à sa conscience. Car le comble du cynisme et du mépris est de cautionner l'apartheid qui sévit en Israël, au nom de la liberté et de la justice. Notions, comme tout le monde le sait, totalement inexistantes dans le lexique sioniste lorsqu'il s'agit de Palestiniens ou d'Arabes. En fait la récente décoration de l'ordre de Chevalier de la légion d'honneur de Merzak Allouache par le gouvernement français, le 5 avril 2015, est-elle tout à fait étrangère à ses choix ? Quand on sait que rien n'est offert gracieusement, on pressent qu'il reste toujours une place comme indigène de la République pour casser de l'Algérien et un arabe de service pour blanchir Israël.