Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Crise migratoire - Sommet Europe-Afrique : le mur

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

Les chefs d'Etat et de gouvernement européens ont proposé à leurs homologues africains le rôle de gardes-frontières contre un éventuel chèque de 1,8 milliard d'euros à partager entre eux. Ridicule.

1,8 milliard d'euros promis pour toute l'Afrique et les 54 pays qui la composent, 3 milliards d'euros pour la seule Turquie, l'Europe croit donc régler l'énorme crise migratoire de ce siècle par une simple question d'argent, du reste avec la ridicule somme totale de 4,8 milliards promis. Prise de court par le brusque afflux de réfugiés de guerre de Syrie, Libye, Irak, Afghanistan essentiellement, l'Europe aborde le phénomène de ce siècle qu'est la migration comme une problématique conjoncturelle qui se résorbera avec la fin des conflits en Syrie et Libye par exemple. S'il est vrai que l'urgence des drames syrien et libyen en fait une priorité, il serait illusoire de croire à la fin des drames et tragédies des migrants avec la seule fin des conflits dans ces pays. Faut-il rappeler que les nations unies (le monde) ont fait de la question migratoire mondiale une question de survie de l'humanité, dès 2006, en instaurant un «Dialogue de haut niveau sur la migration et le développement» ? Que depuis, cette instance onusienne ne s'est réunie qu'une seule fois, en octobre 2013, pour un premier bilan ? Faut-il rappeler les différents instruments mis en place tel le «Groupe mondial sur la migration» de l'ONU en 2007 ? Et le «Forum mondial sur la migration» qui rassemble des centaines d'ONG investies dans la question ? Ces quelques rappels sont nécessaires pour se rendre compte que le traitement des flux migratoires, pour quelques raisons que ce soit, ne peut être résolu par la seule question de dons financiers, fussent-ils conséquents. Parce que les populations fragilisées ne se déplacent pas qu'en raison des guerres. Elles fuient aussi la pauvreté, la sécheresse, les dictatures et régimes politiques violents, l'absence des libertés, etc. Il est quand même symptomatique de constater l'absence au Sommet de La Valette des organisations onusiennes et celles des ONG qui sont sur le terrain des guerres en Syrie, Libye, Soudan, etc. Sur quelles expertises, les chefs d'Etat et de gouvernement réunis dans la capitale maltaise ont-ils conclu à la solution de la complexe question des migrants par le versement, éventuel et à venir, de la ridicule somme de 1,8 milliard d'euros à partager entre des dizaines d'Etats africains ? Désemparée, l'Europe sort son chéquier et agit dans la confusion. Le lendemain de cette rencontre au sommet avec l'Afrique, l'Europe annonce une autre rencontre, fin de ce mois de novembre, avec la Turquie, devenue, par la force des choses, incontournable pour stopper la vague des migrants, victimes des guerres où sont impliqués les Européens. Le président turc, Tayepp Erdogan, dispose d'une «arme» supplémentaire pour négocier plus d'avantages pour son pays, parce qu'il sait que son admission comme membre à part entière de l'Union européenne ne sera pas acquise dans les 20 ans à venir au moins. En revanche, il a désormais de quoi refroidir le discours hostile tenu contre son pays par la droite et les conservateurs européens.

De pays à éviter, la Turquie est devenue, à la faveur de cette crise migratoire, sujet à toutes les sollicitations européennes. Juste retour des choses. A La Valette, il n'a été question que des intérêts de l'Europe. Les responsables africains ont, eux, été muets, excepté le chef d'Etat du Niger qui a relevé l'insuffisance du chèque européen de 1,8 milliard d'euros. Les Européens ont ressorti la vieille recette: réduire les responsables africains au rôle de gardes-frontières chez eux de leurs populations contre des dédommagements financiers. Sachant la transparence de la gestion africaine, ils iront même jusqu'à fermer les yeux sur la destination finale de cet argent. Encore une fois, les Européens ne semblent pas mesurer toutes les conséquences et la complexité de l'accélération du phénomène migratoire enclenché depuis le début de ce 21e siècle. Alors que l'Union européenne est au bord de l'implosion politique (remise en cause de l'espace Schengen, émergence des mouvements populistes et racistes, etc.), elle continue de privilégier la voix des armes pour régler les conflits à ses frontières et à s'enfoncer dans une logique d'affrontement avec son puissant voisin naturel qu'est la Russie. A l'Afrique, où sa responsabilité est engagée et son implication directe dans les politiques de certains pays, elle propose le rôle de garde-frontière. A la fin de ce mois de novembre, la France accueillera le monde (194 pays, dit-on) pour une Conférence sur le climat (COP 21). Et si le monde saisit cette occasion pour mettre aux débats de cette conférence la question migratoire ? Lutter contre le réchauffement climatique, c'est lutter, entre autres, contre la sécheresse et ses conséquences que sont la pauvreté et la violence, surtout dans les pays d'Afrique, d'où proviennent des vagues migratoires, sujet du débat au Sommet de La Valette.