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Les «19» et la présidence de la République : La fin d'une époque ?

par Ghania Oukazi

Les récents soubresauts de la scène politique nationale semblent être l'annonce d'un épilogue à une stratégie de prise et de reconstitution des pouvoirs enclenchée en 2000.

Les analystes qui suivent de très près les tâtonnements, les comportements de va-t-en-guerre, les changements ici et là dans les sphères des pouvoirs, le choix des hommes, très souvent perfide et fourbe, à des postes importants de la hiérarchie de l'Etat et autres renoncements, voire reniements, sur d'importantes questions, historiques, politiques, économique et sociales, du sommet de l'Etat depuis l'arrivée de Bouteflika à la présidence de la République, remettent « ça » sur la table et se persuadent que la fin de l'ensemble de « ces scénarii » n'est pas loin, même si elle aura besoin encore de plusieurs mois pour se confirmer. L'entrée en lice des «19» au milieu de ce désordre de la scène politique nationale ne semble pas inquiéter cette frange d'analystes. Bien au contraire, ils s'y attendaient pour ainsi dire. S'ils ne détiennent pas -pour l'heure- tous les éléments pour comprendre ce qui pourrait se passer en définitif sur ce plan, ils font les recoupements nécessaires pour en extraire les visées et les objectifs des uns et des autres mis tout à coup sous les feux de la rampe. « Zohra Drif Bitat n'est pas née de la dernière pluie pour qu'elle se jette en ces temps d'incertitudes dans une initiative se voulant acculer le président de la République, elle sait ce qu'elle fait », nous dit un ancien haut responsable au palais d'El Mouradia. L'homme n'a rien perdu de son œil scrutateur des zones et des horizons les plus sombres d'un pouvoir que rien ne semble avoir ébranlé, même quand il lui est demandé de montrer s'il est mort ou vivant. «Aujourd'hui, le pouvoir s'appelle Bouteflika, du frère au frère, des hommes de main aux relais, des stratèges aux missionnaires ou exécutants d'ordres, il est concentré entre une seule poigne », nous dit-il, convaincu. Notre interlocuteur, qui a milité dans les rangs du fameux MALG (Ministère de l'armement et des liaisons générales), dès ses premiers moments de gloire, mais qui s'est replié dans sa tour d'ivoire « pour voir plus clair », pense-t-il, est persuadé que les «19» font partie au moins d'une catégorie de celles qu'il a cité.

QUAND LA MOUDJAHIDA ACCULE L'HISTOIRE COLONIALE A MARSEILLE

«De prime abord, c'est Zohra Drif qui guide le groupe, -avec tous mes respects aux moudjahidine signataires eux aussi de l'appel et qui savent aussi ce qui se trame-, elle est consciente de la tâche qu'elle est en train d'accomplir,» tente-t-il d'expliquer. Même s'il refuse de «détailler» sa pensée, notre interlocuteur laisse paraître que la moudjahida a été chargée de plusieurs missions depuis que Bouteflika est président de la République, entre autres, une, délicate, durant laquelle elle devait affronter la mémoire de la France coloniale reconvertie en «philosophes» ou en «chercheurs», en «élus municipaux» et même en « patrons de presse». C'était à l'occasion du 50ème anniversaire de la guerre d'Algérie que les Français avaient commémoré chez eux le 30 mars 2012. Traitée par l'extrême droite française (ancienne et actuelle) de terroriste tout autant que Abdelaziz Belkhadem, alors secrétaire général du FLN, qui avait lui aussi fait le déplacement à Marseille (en même temps que l'ancien diplomate, Salah Kobi), Drif Bitat avait tenu tête au sinistre BHL (Bernard Henri Levy) qui avait ramené dans la salle un témoin et rescapée des effets de la bombe que la moudjahida avait placé dans le Milkbar d'Alger au temps de la colonisation. Regrettez-vous votre acte ? Ne devriez-vous pas présenter vos excuses aux victimes ? », lui avait-il demandé. «Je ne regrette rien, ma fille, j'ai défendu ma terre que la France a colonisée et spoliée, j'ai utilisé les moyens que j'avais en ma possession pour faire face à une force coloniale membre de l'Alliance atlantique, je me devais de participer à la libération de mon pays, » a-t-elle répondu à la femme témoin qui était sur une chaise roulante dans la salle du Théâtre de la Criée de Marseille, et qui, petite fille, se trouvait aux côtés de sa grand-mère morte dans l'attentat du Milkbar.

LE POUVOIR DE BOUTEFLIKA ET LA GRIFFE DE ZOHRA DRIF

La femme n'est donc pas facile. «Zohra a participé à l'émergence de Bouteflika en tant qu'homme revanchard sans égal. Elle a placé des hommes et des femmes à son service, convaincue que le président est venu pour changer un ordre établi, pour mettre fin à son propre système », souligne un moudjahid qui l'a connue dès son entrée dans les rangs des militants. Zohra Drif connaît Bouteflika « pour lui avoir lavé ses vêtements et lui avoir fait à manger, lorsqu'elle avait décidé, aux côtés de son époux, Rabah Bitat, de lui prêter main forte pour se relever de l'affront qui lui a été fait par les hommes du pouvoir en le faisant juger par la Cour des comptes.» A cette époque, les différends qu'avait eu Bouteflika avec le président Boumediene et plus tard, en 98, son refus de prendre le pouvoir à l'ombre de celui réel des militaires, « avaient servi de ressorts à ses juges. » Parmi les «19» il y a certes des personnes qui subitement ont été mis à nu après le départ du patron du DRS. L'agitation provoquée par cette mise à la retraite, somme toute normale, a profondément perturbé une cour dont beaucoup d'animateurs se déguisaient pour rendre compte à Toufik et prendre ses instructions. Nos interlocuteurs s'inquiètent d'ailleurs de « l'état de salubrité de l'esprit de certains politiques qui s'arrogent le droit d'être les défenseurs des services de sécurité ou de l'armée dans son ensemble tout en se déclarant démocrates et défenseur de la liberté d'expression et de pensée, la contradiction ne gêne personne, drôle d'époque. »

LES INDICATEURS DU FLN ET LES OPTIONS DE LA PRESIDENCE

Le désormais «clan» de Zohra Drif n'a rien d'homogène mais il fait croire à une alliance qui cache mal une jonction d'intérêts, pour les uns, sauver la République en permettant à « son commandeur » d'exécuter la phase finale de sa stratégie de règne avec tous les honneurs et pour d'autres, se chercher une nouvelle couverture avec l'avènement de la 2ème République. « Il est impossible que Bouteflika continue de se taire, de jouer dans l'ombre, et de refuser de répondre aux cris d'alarme provenant de plusieurs parties, plus rusé que lui, le pouvoir n'en a pas connu, il s'est fixé un temps, une période et une étape pour réagir et siffler la fin d'un jeu de pouvoirs dont il en sort gagnant sur toute la ligne », affirment des sources qui lui ont toujours été proches. L'on nous attire l'attention que Zohra Drif met en exergue les menaces qui pèsent sur le pays. « C'est ce qui a toujours été mis en avant dans le discours officiel, y compris quand elle évoque des complicités internes pour déstabiliser le pays, » estiment nos sources. Avec sa « nouvelle » demande, Drif, ne se place, selon nos interlocuteurs, nullement en porte à faux de la stratégie du président de mettre fin à un système et à ses hommes. « Il reste quelques responsables qu'il prévoit de remercier au moment qu'il aura choisi, il a juré que personne ne restera dernière lui aux commandes d'un quelconque pouvoir, et il le prouvera », renchérit l'un des responsables que nous avons rencontré. Les déclarations, même si elles paraissent contradictoires, du SG du FLN distillent de forts indicateurs pour de telles options. Dès sa prise de pouvoir, Bouteflika a parlé de tous les dossiers qui sont évoqués aujourd'hui, par son 1er ministre et les membres de son gouvernement et même par ses opposants. L'informel, les nababs de l'importation, les dérives de certains généraux janviéristes, les effets et conséquences du cabinet noir, «tout est sorti à la surface, ne reste aucun homme fort du système tapi dans l'ombre, des responsables s'enrichissent illégalement au vu et su de tout le monde, le ministre du Commerce évoque des chiffres hallucinants de transactions illicites, il y a de tout dans ce qui se fait et se dit, il y a la menace, la dérive, la suspicion, la course au pouvoir, les querelles politiciennes, rien ne peut désormais être caché, l'Algérie connaît aujourd'hui d'où proviennent ses défaillances et ses faiblesses, c'est véritablement la fin d'une époque, » nous explique ce responsable.

Pour nos sources « c'est un véritable jeu de quilles qui est attendu, il faut que toutes les quilles tombent en s'entrechoquant.» Les affrontements verbaux entre les hommes et femmes du système en démontrent presque la mécanique. « Lil Kaâba Rab Yahmiha (La Mecque est protégée par Dieu), disait Bouteflika lorsqu'il évoquait les hommes qui ont gouverné mais qui sont partis.

« Mais qui paiera cette lourde facture ? » interrogeons-nous.

L'AMNISTIE GENERALE ET LE DROIT DE GRACE DU PRESIDENT

«Depuis que l'Algérie a ses hommes de pouvoirs, aucun d'eux n'a été puni sauf quand on veut en faire un exemple à méditer comme le cas de Mustaha Beloucif, si les spoliateurs d'aujourd'hui doivent payer, ceux des années de l'indépendance doivent aussi payer, dans ce cas, on ne s'en sortira jamais, » répondent nos sources. Nos interlocuteurs sont persuadés que tous les conflits qui ont surgi durant ces quinze dernières années, l'ont été pour régler des comptes ou préserver des intérêts et non pour protéger le pays. D'ailleurs, l'on soutient que «le dossier Sonatrach reste à ce jour à travers la gorge du général Toufik, ceci même si l'on est persuadé que sa retraite est la réplique à un deal entre le président de la République et lui.» L'on rappelle sans sourciller que «Chakib Khelil a connu les affres de l'accusation directe de grande corruption non pas parce qu'il a volé (la justice doit mettre toute la lumière sur ce dossier), mais parce qu'il a osé un jour déclarer qu'il allait déplacer Sonatrach à Oran. »? Sinon, continue-t-on de s'interroger, « beaucoup de responsables ont détourné de gros sous, pourquoi personne n'en parle ? »

L'avènement de la nouvelle Constitution que les voix officielles donnent pour « très proche », laisse croire que 2016 ne sera pas comme toutes les années passées. L'idée d'une amnistie générale à tous les niveaux du politique et de l'économique est toujours d'actualité. « Le droit de grâce que Bouteflika détient par les effets de la Constitution l'a toujours empêché d'en faire profiter des prisonniers qui ont commis des crimes sur des personnes et sur l'économie, pourtant il a décidé de grâcier ceux qui ont commis des crimes économiques en appelant à la bancarisation de l'informel, ces sommes colossales gagnées illicitement, le reste pourra alors suivre sans trop de remous,» soutient-on. « Aâfa Allah aâma salef (Dieu pardonne ce qui a été commis comme faute avant le repentir) » n'avait de cesse de répéter Bouteflika dans ses discours.

 Nos sources pensent en dernier que Bouteflika recevra « peut-être deux ou trois personnes sur les 19 pour qu'il puisse aller jusqu'au bout de sa logique de l'exercice des pouvoirs et avoir une brèche pour pouvoir mettre en œuvre la suite des événements qu'il a programmés.» Il aura ainsi répondu à la demande de ses soutiens mais pas à celle de l'opposition, même si les inquiétudes des deux «clans» viennent subitement de converger.