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Gouvernement : Le pétrole, l'argent de poche et les walis entrepreneurs

par Ghania Oukazi



Les membres du gouvernement se sont prêtés samedi dernier à des confessions qui laissent aisément deviner que leurs secteurs naviguent à ce jour à vue et consomment des budgets sans objectifs précis.

Le gouvernement a décidé depuis samedi dernier -jour de la réunion avec les walis de la République- de se détacher de son optimisme béat pour avouer au peuple que le pays n'a presque plus d'argent et qu'il faille trouver des solutions qui lui permettent de reconstituer ses ressources. Il ne l'a pas décidé parce que l'honnêteté l'oblige à rendre compte aux citoyens avec la plus grande transparence mais parce qu'il y a été contraint. La chute drastique des prix du baril de pétrole et ses effets baissiers sur les ressources financières nationales ne lui laissent pas d'autres choix. Il y est d'autant plus contraint parce qu'il vient de se rendre compte, après de longs mois de flottement et d'atermoiement, que les cours pétroliers ne reprendront pas de sitôt leurs niveaux élevés comme ce fût le cas ces dernières années mais resteront aussi bas qu'ils le sont depuis plusieurs mois. La signature en juillet dernier de l'accord sur le nucléaire entre l'Iran et les Etats-Unis est pour recréer un ordre économique mondial où l'Algérie non seulement n'aura aucun rôle prépondérant mais en subira les pires des difficultés. L'entrée en lice de l'Iran dans la cour des grands producteurs de pétrole renversera inévitablement les relations internationales et imposera un rythme d'échanges que l'Algérie ne pourra jamais suivre en raison de la faible compétitivité de son économie.

Nos gouvernants n'ont pas tiré de leçons les années 88 où le pétrole avait alors perdu de sa valeur pour être cédé à des prix dérisoires. Et à l'époque, le pouvoir était aussi inconscient et vaniteux qu'aujourd'hui. Il dépensait sans compter. A peine quelques années plus tard et en pleine tourmente terroriste, il avait précipité le pays dans une situation de cessation de paiement qui l'avait soumis à des plans d'ajustements structurels dictés par les institutions de Bretton Woods et où la souveraineté nationale a été fortement bousculée.

QUAND LES MINISTRES SE CONFESSENT A HUIS CLOS

De peur de vivre une période aussi humiliante et de perdre des privilèges que seule la rente des hydrocarbures peut leur garantir, les responsables ont accepté aujourd'hui de se plier quelque peu au jeu de la vérité. Ceci, si l'on ferme les yeux sur le huis clos qui a été observé durant les travaux de la réunion du samedi alors que certains ministres devaient intervenir et répondre à des questionnements de quelques walis essentiellement sur la chose publique et non sur des secrets de défense de l'Etat. De ce huis clos inintelligent la télévision publique en a distillé quelques bribes. L'on découvrira que des ministres ont de suite oublié qu'ils devaient «désormais» se soumettre au test de vérité. Le temps de l'ouverture de la réunion passé, ils ont en effet (re)pris durant le huis clos leurs délires pour des réalités et ont disserté sur le fonctionnement de leurs secteurs respectifs avec ce même accent orgueilleux qu'ils adoptent dès qu'ils côtoient le pouvoir.

Du coup, on entendra l'un d'entre eux se targuer d'avoir opéré des réajustements budgétaires sans nullement toucher à des projets nécessaires au développement. «On a touché essentiellement à des projets à la périphérie du développement», a-t-il déclaré fièrement.

Economiquement «la périphérie du développement» n'existe pas sauf si il y a une arrière-pensée d'avouer que l'Etat a jeté de l'argent par les fenêtres. «Ce sont des concepts fourre-tout qui n'existent plus dans les sciences économiques», font savoir des spécialistes en économie. «On peut comprendre que ces projets à la périphérie du développement dont parle le ministre n'étaient pas nécessaires pour l'économie, on peut donc en déduire que ce sont des dépenses superflues», expliquent-ils.

RESTRICTIONS BUDGETAIRES ET BADGES INUTILES

Un autre ministre recommande de «transformer les secteurs consommateurs de budgets en secteurs créateurs de budgets». A la vue de tous les présents à la réunion gouvernement-walis (excepté le 1er ministre) qui portaient un badge (sans nom ni fonction précisés) y compris les ministres au cas peut-être où on le ne reconnaîtrait pas, l'on aimerait demander à ce ministre si les services publics pourraient s'empêcher, ne serait-ce qu'une fois, de consommer inutilement des budgets (aussi maigres soient-ils) quand on sait que leurs responsables excellent en gaspillages.

«Pourquoi le citoyen européen est-il mieux que nous ?» interroge un autre membre du gouvernement en comparant le niveau de modernité des institutions nationales avec celles «d'ailleurs.» Pour toute réponse à la question du ministre, il suffit juste de voir que le gouvernement s'est vanté d'avoir installé des connections wifi dans les bus alors qu'il est incapable de les assurer aux particuliers. Les services TIC de Zeralda, pour ne citer qu'eux, pourront vous jurer que ces connections existent alors que les citoyens n'arrivent pas à en profiter. «Les responsables du secteur ont dû penser que les Algériens habitent dans des bus», nous disaient l'autre fois des jeunes blasés par les va-et-vient qu'ils font pour faire activer des connections pourtant payées à l'avance.

Encore un autre ministre qui a, pour sa part, jubilé en annonçant qu'«en Algérie, 37% du PIB sont investis dans le développement, ça ne se fait dans aucun pays. «Pour quels résultats ?» interrogent les économistes et les financiers. «Est-ce qu'on a fait avancer le développement ?», interroge l'expert en économie le professeur Mohamed Bahloul que nous avons contacté hier à Oran. Le directeur de l'Institut des ressources humaines préfère aller à l'essentiel et souligne qu' «il y a un problème d'incapacité d'absorption de l'investissement, de valorisation de capital. C'est pour ça qu'il n'y a pas de création de plus-values et de richesses». L'autre problème, dit-il, «c'est l'organisation de l'économie. Elle est structurellement ouverte aux seules importations ; elle ne peut ainsi travailler pour elle-même et tout ce qui est investi profite uniquement à l'étranger». Pour le chercheur universitaire, «le concept keynésien multiplicateur de l'investissement ne fonctionne pas en Algérie pour des raisons liées à l'organisation de l'économie et aux institutions».

DES WALIS, «DES FONCTIONNAIRES ENTREPRENEURS PUBLICS *DES TERRITOIRES» ?

L'économiste estime ainsi que «nous avons un sérieux problème de gouvernance, et l'impérative transformation des ressources en croissance ne peut avoir lieu si ça ne change pas». Bien que Bahloul pense que «le discours officiel reste une orientation, une promesse, un objectif», il note cependant avec satisfaction «l'intentionnalité du gouvernement (qui) est une bonne chose». Il affirme dans ce sens que «ce qui est remarquable, c'est que le 1er ministre semble ouvert à des propositions faites depuis très longtemps par les experts et considérées comme trop critiques, mais qu'il veut aujourd'hui adopter comme mesures à mettre en œuvre, c'est intéressant». L'économiste relève néanmoins que «si le gouvernement adopte des politiques de traitement des urgences, c'est bien mais qu'il réorganise structurellement l'économie, c'est mieux». Il faut, dit-il, qu'«il mette en place des politiques du marché et de l'entreprise sur la base d'une matrice d'incitations claires». Il explique encore «même si le prix du pétrole baisse, le pays n'a pas de problème d'argent de poche. Mais pour reconstituer ses ressources, il faut qu'il fonde une économie mobilisée où l'entreprise a deux ailes, la première celle de l'Etat et la seconde celle du marché». Mais avant il faut, selon lui, réformer les deux. Il appelle à l'émergence «d'une entreprise en même temps organisation, créatrice de richesses et institution». Comme synthèse du nouveau discours de «vérité» du 1er ministre, l'expert en économie pense que «l'idée du développement local est une idée fondamentale parce que l'économie de marché doit s'appuyer sur un développement moléculaire, elle doit commencer par le bas, le capital doit être municipal». Pour ce faire, «si on arrive à transformer les walis, de fonctionnaires en entrepreneurs publics des territoires, le pari du développement est gagné», affirme-t-il. Le professeur Bahloul évoque à cet effet le rôle des gouverneurs des grandes villes américaines dans la réussite du développement local. Pour cela, il faut, dit-il, «des profils psychologiques créatifs très audacieux».