Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Lutte contre l'extrémisme et le radicalisme : Après le constat, quelle action ?

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

Constater la propagation fulgurante du radicalisme et de l'extrémisme religieux n'est pas une nouveauté. Experts et responsables politiques ne peuvent se suffire au seul diagnostic du mal. Le remède exige des stratégies politiques courageuses à tous les niveaux.

Près de dix ans après les premières tentatives d'études scientifiques, philosophiques, politiques et culturelles de «l'extrémisme» et du «radicalisme», en particulier religieux et spécifiquement d'obédience islamiste, gouvernants et responsables politiques peinent à endiguer le «phénomène». Pire, le phénomène prend de l'ampleur et touche le monde entier. Qu'est-ce qui explique la métastase de l'extrémisme et la radicalisation dans les corps des sociétés modernes, alors même que les gouvernants annoncent, année après année, leur volonté d'éradiquer le phénomène ? Qu'est-ce qui échappe à la compréhension de ce fléau des temps modernes pour que les sociétés, y compris celles dites démocratiques, riches et éduquées soient à ce point contaminées par ces désirs cachés de violence et d'introversion ou enfermement identitaire ?

Curieux de constater la renaissance de la violence identitaire, culturelle, cultuelle, nationaliste, raciste, xénophobe au moment même où le monde devient un «village planétaire» grâce aux nouvelles technologies de communication et d'information.

Face à la rapidité de propagation de la violence extrémiste d'obédience religieuse, les Occidentaux on été les premiers à régir, voilà près de 10 ans, en mettant en place des stratégies multiples pour combattre l'extrémisme et le radicalisme. Dans un premier temps, les gouvernants ont compté sur la répression en usant des seuls moyens de la justice, des polices et des armées, comme s'ils faisaient face à une tempête passagère. Des lois ont été votées (renseignements, rôle de la justice et des polices, appel à l'aide des armées, etc.) sans constater le moindre recul du phénomène extrémiste et sa manifestation violente, le terrorisme. Ils ont ajouté à l'arsenal répressif, des stratégies préventives: appel à un nombre considérable d'acteurs sociaux et éducatifs pour leur implication dans une démarche pédagogique de lutte contre les vecteurs de diffusion de l'idéologie extrémiste (écoles, médias, éducateurs de rues, mouvements associatifs, imams, aumôniers des prisons, etc.). L'exemple de la Belgique est significatif à ce sujet. L'Etat belge a identifié (désigné) dans l'édifice institutionnel, la commune comme le pivot central de la mise en pratique de la politique de prévention contre l'extrémisme et le radicalisme. De par leur proximité citoyenne, les responsables communaux sont appelés à jouer un rôle de premier plan dans la mise en pratique de la «politique nationale de prévention». Des moyens financiers, humains et matériels sont avancés pour qu'ils puissent mener à bien leurs missions et en rendre compte régulièrement.

Des coordinateurs de lutte contre l'extrémisme sont désignés dans les grandes villes (Bruxelles, Anvers, Gand, Liège, Charleroi, etc.). Des «contrats stratégiques» pour une valeur de plus de 15 millions d'euros ont été conclus, dès 2013, entre l'Etat fédéral et trente villes cibles par exemple.

Le mouvement associatif, particulièrement celui activant dans les quartiers dits «difficiles» est encouragé, soutenu et surtout consulté lors de diagnostics, bilans et réunions à divers niveaux (communal, régional, fédéral). Les programmes pédagogiques des écoles s'adaptent: des cours d'histoire actualisés, un cours de citoyenneté introduit dès le cycle primaire, celui des religions classé facultatif, etc. Le but est clair: faire prendre conscience au citoyen, l'impliquer et le responsabiliser face aux risques de l'idéologie extrémiste qu'elle soit d'obédience religieuse, raciste, xénophobe, nationaliste ou sectaire.

Près de 10 ans après les premières tentatives de lutte contre la violence extrémiste qui se résumaient à la seule répression sécuritaire et pénale, les Occidentaux découvrent la complexité du phénomène, sa rapidité d'expansion et surtout la nécessité d'impliquer le citoyen et la société dans une stratégie globale de lutte contre l'extrémisme (les extrémismes) sur le long terme. Il ne suffit pas donc de réunir des experts, des théoriciens, des hommes politiques de premier plan dans une rencontre pour saisir toute la complexité du phénomène. La question est: la suite ? Quelles décisions pratiques et quels moyens humains, matériels et financiers seront mobilisés par l'Etat pour engager la bataille sur le terrain social et citoyen ? Pour ce qui concerne les sociétés musulmanes, l'autre question «subsidiaire» et non moins capitale pour leur survie est: que veulent-elles comme type de société ? Pluraliste, démocratique, laïque ouverte sur la modernité ou monolithique, religieuse, dogmatique, fermée et isolée du reste du monde ? Fondamentalement, le citoyen musulman revendique et aspire à la liberté et au progrès autant que l'Occidental. Les révoltes et manifestations citoyennes régulières dans les pays majoritairement musulmans prouvent ce désir de liberté et de recherche du bonheur. Malheureusement, les systèmes politiques sont si hermétiques, dominateurs, paternalistes au point d'infantiliser leurs peuples et surtout si violents que les sociétés elles-mêmes ont intégré le seul langage de la violence comme instinct de survie. Le radicalisme et l'extrémisme ne sont que la réponse à des situations de violence politique et sociale.

Si l'Occident, de par son niveau de développement et ses valeurs de liberté et de démocratie, a quelques espoirs d'éradiquer sur le long terme ou de contenir le phénomène extrémiste dans des proportions gérables, la problématique est plus complexe et alarmante dans les pays à majorité musulmane, eu égard aux systèmes politiques sclérosés et archaïques qui les caractérisent. Le nier est une fuite en avant qui ne fera qu'aggraver leur situation. Et lier le phénomène extrémiste islamiste et radical dans les pays musulmans aux seules conséquences géostratégiques des guerres menées par l'Occident, et aux seules guerres, ne fera pas avancer les choses.

S'il y a lieu d'en tenir compte (guerres en Syrie, Libye, Yémen, occupation de la Palestine) dans le phénomène de radicalisation, il est tout aussi «courageux» de dénoncer les propres avatars, déviances, extrémismes, racisme, xénophobie inhérents au corps social et son substrat, les régimes politiques des pays musulmans eux-mêmes. Sans des réformes, voire des révolutions, menées par les gouvernants et impliquant la responsabilité des citoyens, le péril de la violence intégriste, particulièrement d'obédience islamiste, détruira tout, jusqu'à la cellule familiale.