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Genèse d'un accord climatique

par Ghania Oukazi

«L'éthique climatique exige que ceux qui sont historiquement responsables de l'accumulation débridée dans l'atmosphère des gaz à effet de serre puissent résolument et en toute bonne foi respecter leur engagement de Rio et montrer la voie à suivre par l'exemple, en prenant la direction des efforts».

Ce n'est pas la seule déclaration de Ramtane Lamamra qui appelle à plus d'attention, de volonté et de responsabilité quand il s'agit d'exposer à la négociation le lourd dossier des dérèglements climatiques. Bien qu'informelles, les discussions de la 1ère Session des consultations ministérielles informelles préparatoires à la COP21 portant sur les questions politiques et l'équilibre général de l'Accord ouvertes lundi dernier à Paris ont en effet permis au ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de mettre en exergue les inquiétudes mais aussi les attentes, recommandations, conditions et aussi assurances de l'Algérie pour que la communauté internationale puisse conclure un accord équitable à l'issue des travaux de cet important rendez-vous. Accord qui a figuré déjà dans l'ordre du jour de la 19ème Conférence des États parties (CoP19) à la Convention-cadre des Nations Unies pour les changements climatiques (CCNUCC) tenue du 18 au 22 novembre 2013 à Varsovie en Pologne en présence de 194 pays.

Si la CoP19 a lancé à Varsovie la préparation d'un nouvel accord climatique mondial, la CoP21 est appelée à le parfaire et à l'adopter en décembre prochain à Paris. «Ce nouvel accord annoncera des émissions de gaz à effet de serre (GES) afin de maintenir une élévation de température n'excédant pas 2°C à l'horizon 2050», disent les spécialistes. Notons que le protocole de Kyoto a pris fin en 2012. Depuis, aucun nouveau protocole n'a vu le jour. «L'après Kyoto peine à se dessiner vu la sensibilité du dossier devenu problématique à cause de la responsabilité historique des pays, l'absence de volonté pour une mise en œuvre réelle des politiques liées aux changements climatiques, le manque de financement des actions liées aux changements climatiques notamment l'atténuation des émissions de GES», disent les politiques.

«Néanmoins, la responsabilité est différenciée entre les pays développés (classés Annexe I) et les pays en développement (PED) (classés non Annexe I), ces derniers (Afrique, Amérique latine, les pays les moins avancés (MNA) et les pays pauvres) n'ont aucune responsabilité dans les changements climatiques, de surcroît ils sont considérés comme des pays très vulnérables au plan naturel et économique», expliquent-ils. Ils soutiennent d'ailleurs que «l'Afrique n'est responsable que de 3% des émissions de GES, quantité insignifiante en comparaison aux pourcentages des pays développés (entre 75% et 80%)». Le ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale l'a bien exprimé à Paris.»La justice climatique exige que les obligations découlant du nouveau régime climatique de Paris soient au diapason des capacités des uns et des autres, de leurs responsabilités présentes et futures et de leur contribution actuellement et celle de demain», a-t-il soutenu. Il a affirmé que «l'Algérie plaide à ce que l'Accord de Paris sur le climat prévu en décembre prochain soit solidement ancré et façonné par l'éthique, la justice et la solidarité inter et intra-générationnelles, ainsi qu'à la hauteur des attentes des peuples». Les arguments pour consacrer un tel objectif ne sont pas des moindres.

LES VERITES SCIENTIFIQUES

«Les émissions de gaz à effet de serre (GES) qui sont nombreux (le CO2 est le principal gaz à effet de serre), continuent dans le mode industrialisé, composé par les pays responsables du dérèglement climatique, en l'occurrence les Etats-Unis, la Chine et l'Europe», affirment des spécialistes. «La responsabilité historique de ces pays dans la pollution atmosphérique leur impose non seulement de remettre en cause leur production énergétivore mais doit aussi exiger d'eux une position juste et responsable vis-à-vis des autres pays non pollueurs à qui ils doivent solidarité et soutien pour l'atténuation des GES», soutiennent-ils confortant ainsi les déclarations à Paris de Ramtane Lamamra.

Les explications des scientifiques à ce propos sont effrayantes. «Le dérèglement climatique représente un enjeu majeur et une réalité scientifique dont les impacts néfastes sont ressentis dans le monde entier, allant en s'amplifiant causant des dégâts désastreux coûtant des milliards de dollars aux gouvernements (à savoir que le changement climatique coûte 1,5% du PIB mondiale tous les ans)», affirment-ils. Les indications de ce profond bouleversement de la planète sont réelles puisque, affirment les scientifiques, «le monde fait face aux inondations, sécheresse, désertification, stress hydrique, tempêtes ravageuses, cyclones, montée du niveau de la mer, réapparition des maladies infectieuses disparues et des pandémies, fonte des glaciers, dérèglement des saisons et par voie de conséquence la biodiversité et le fonctionnement naturel des écosystèmes marins, terrestres, littoraux et désertiques par la perte d'espèces faunistiques et floristiques (animales et végétales) et la détérioration des sols impactant de manière grave la production agricole affectant de fait la sécurité alimentaire». La liste des désastres n'est pas close. Ils y adjoignent «les impacts sur le déséquilibre écologique de la nature provoquant la migration de plusieurs populations vers des zones plus clémentes fuyant la désertification, la faim, la pénurie d'eau?»

Les scientifiques continuent de tirer la sonnette d'alarme. «Le changement climatique, avéré, est un indicateur de développement non durable, qui risque de perturber les grands équilibres planétaires tels qu'on les a connus sur les derniers siècles», soulignent-ils. Ils nous indiquent que «l'industrie pétrolière et chimique est la principale cause des changements climatiques, secondée par les transports et les actions irrationnelles de l'homme sur les ressources naturelles (surpâturage, utilisation anarchique des forêts, etc.) qui sont la principale cause à se faire sentir dans des régions qui étaient jusque-là épargnées, telles que les écosystèmes montagneux qui sont affectés aujourd'hui par les pluies acides qui ravagent de plus en plus le couvert végétal touchant ainsi de manière irréversible le patrimoine forestier, source d'oxygène pour la nature et les hommes».

Au plan scientifique, il est affirmé qu'«il est établi qu'il y a possibilité de maintenir le réchauffement de la planète à 2° Celsius à l'horizon 2050 en réduisant de 75% les émissions des GES, donnée incontestable au regard de la réalité vécue». Donnée exprimée par le Groupe intergouvernemental composé d'experts spécialistes, chargé de l'évolution du climat (GIEC) dans son dernier rapport de 2014.

LES REVENDICATIONS DE LAMAMRA

«Le GIEC invite les gouvernements du monde à revisiter leur mode de développement : production économique, consommation et une prise de conscience rigoureuse afin de déclarer un discours décisif et formel pour une nouvelle politique du climat à partir de 2015», est-il précisé. Les revendications de Lamamra à partir de Paris sont claires.»L'éthique climatique exige que ceux qui ont le moins contribué aux dérèglements climatiques, à savoir les peuples les plus pauvres et les plus vulnérables, et qui en sont malheureusement les principales victimes, puissent être accompagnés, par ceux qui en ont les moyens, en termes de ressources financières nouvelles et additionnelles et de transfert de technologies propres en des termes concessionnels et favorables». Le chef de la diplomatie algérienne estime à cet effet qu'»une solidarité Nord-Sud demeure plus que jamais nécessaire. Cependant, une solidarité climatique Sud-Sud reste aussi à inventer». Tout en rappelant que «le gaz naturel est la passerelle idoine entre les énergies fossiles et les énergies sobres en carbone de demain», il assure que «dans ce contexte, l'Algérie, grand pays africain producteur de gaz naturel, disposant d'un potentiel considérable d'hydrocarbures non conventionnels, est prête à promouvoir des partenariats stratégiques à long terme tant avec des pays du Nord que du Sud, utilisateurs de charbon afin de les aider à mettre en œuvre leurs engagements d'aujourd'hui et de demain, contenus dans leurs INDC (contributions prévues déterminées au niveau national)».

 Constat indéniable de Lamamra, «la crise du climat nous interpelle individuellement et collectivement, et à tous les niveaux de responsabilité. Les changements climatiques ne relèvent plus des choses à venir. Ils font déjà partie du quotidien de notre planète.» Le dérèglement climatique est considéré par les spécialistes «désormais comme un enjeu à connotation politique dans la mesure où ce sont les décideurs au plus haut niveau qui hypothèquent le destin de la planète». La prise en charge de cet épineux dossier par le MAE et non pas par le ministère de l'Environnement démontre que l'Algérie tente de le classer parmi les priorités de l'Etat. Lamamra a ainsi rappelé que «l'Algérie, en sa qualité de vice-présidente du comite intergouvernemental de négociation, a joué un rôle clé au cours des négociations de la Convention-cadre sur les changements climatiques, elle porte, aujourd'hui, la lourde responsabilité, partagée avec un éminent représentant des Etats-Unis d'Amérique, de coprésider le Comité de négociation de l'Accord de Paris». Rassurant, le ministre déclare que «l'Algérie, qui a été parmi les premiers pays signataires à Rio de la Convention-cadre sur les changements climatiques, entend assumer les responsabilités qui sont les siennes aux niveaux national et international».

«L'ALGERIE EST UN PAYS VULNERABLE»

A ce titre, «l'Algérie se doit, selon les spécialistes, de faire preuve de son adhésion déterminée et constante à la politique mondiale de lutte contre les impacts des changements climatiques». D'autant qu'elle s'inscrit, expliquent-ils, dans la feuille de route de l'Appel de Lima (CoP20 tenue en 2014), tout en défendant sa position de pays non pollueur et donc rejetant sa responsabilité historique. Les données avancées par les spécialistes montrent, si besoin est, que l'Algérie est surtout un pays vulnérable. «L'Algérie s'étale sur plus de 2 millions de km2 dont 80% de désert, 4% de terres littorales de 1600 km de long, devenues polluées et 16% de Hauts-plateaux dont la plupart sont des zones steppiques non encore aménagées, sensibles au regard du stress hydrique et en proie à la désertification croissante et à l'avancée du sable (malgré le barrage vert, un mégaprojet visionnaire des années 70 pour l'implantation d'une bande végétale s'étalant sur 3 millions d'ha, atténuant ainsi les effets de la désertification sur les populations et les écosystèmes naturels)».

Ils notent en outre avec insistance que «le territoire algérien connaît une baisse graduelle dans la pluviométrie depuis 1975, ressentie notamment dans la région des Hauts-Plateaux. Elle doit par conséquent adapter une bonne résilience afin de protéger ses ressources naturelles, source de sa survie et moteur du développement socioéconomique mais aussi assurer sa souveraineté alimentaire et éliminer sa dépendance de l'étranger en termes de produits alimentaires (lait, céréales, viandes).» Si une de leurs références est que «l'Algérie, dont le point focal de la CCNUCC se trouve être le ministère des Affaires étrangères (MAE), a déjà élaboré deux Communications nationales sur les changements climatiques (2000 et 2010) et a fait deux inventaires de GES (1994 et 2000)», ils déplorent cependant le fait qu'elle ait aussi rédigé son Plan climat national (PCN 2013) mais qui peine à être mis en œuvre (plan non encore validé par le gouvernement) alors que les Plans climat locaux (PCL) imposent une accélération dans leur élaboration notamment pour la région des Hauts-Plateaux, au regard de l'urgence des évènements attribués aux changements climatiques au plan national.» Ils estiment que «ce sont ces PCL qui vont déterminer la stratégie de résilience impulsée par une grande sensibilisation des populations au niveau local».

DEREGLEMENT CLIMATIQUE ET CRISE ECONOMIQUE

Les secteurs les plus polluants en Algérie sont l'énergie et transports qui émettent des GES à hauteur de 74%, l'industrie 5%, l'agriculture et forêts 11% et les déchets 10% selon le dernier inventaire. Les secteurs les plus impacts en Algérie sont l'agriculture et les ressources en eau. Notons que le ministère des Ressources en eau et de l'Environnement a installé hier le Comité national pour le climat (CNC).

«L'Algérie se prépare ainsi à participer à la prochaine Conférence des États parties avec sa Contribution déterminée (INDC) élaborée par tous les secteurs socioéconomiques et pilotée par le MAE», nous dit-on à ce niveau. L'on nous explique que «la Contribution est un rapport qui contient les inventaires des GES, l'ambition de l'Algérie à opter pour une atténuation des GES d'un pourcentage déterminé inscrit à un horizon déterminé» Les spécialistes pensent que «l'horizon 2030 semble le plus plausible pour l'Algérie au regard des programmes stratégiques de développement tels que le programme énergétique national 2030, inscrits dans les deux derniers quinquennats adossés à des dispositifs pertinents de mise en œuvre tels que le SNAT 2030, une feuille de route tracée dans une optique de développement durable».

Lamamra soutient pour sa part que «la société civile, là où elle se trouve, inquiète de son devenir et soucieuse de celui des générations futures reste dans l'attente des assurances de ses dirigeants et appelle une réponse des gouvernants qui soit à la hauteur des défis présents et futurs». Il estime ainsi que «la science a parlé, le marché réagit, les territoires s'adaptent, la société civile exige, les politiques sont donc interpellés pour apporter leur réponse». Il est alors affirmé par les politiques que «la coopération internationale a une grande place dans l'INDC proclamée dans la CoP20 et qui impose un soutien technique et financier de la part des pays développés envers les PED». Cependant, la crise économique et financière qui secoue une grande partie des pays occidentaux pourrait être l'alibi-clé des puissants de ce monde pour ne pas avancer les financements tant attendus par les pays vulnérables mais surtout non responsables historiquement des dérèglements climatiques.

Pour rappel, le Fonds Vert pour le Climat a été mis en place en 2012 avec 10 milliards de dollars, destiné à aider les PED dans la mise en œuvre de leurs programmes. «C'est bien mais peu par rapport aux actions qui s'imposent aux PED», disent les politiques.

LA COP21, UN ESPACE DE NEGOCIATIONS DECISIF

«L'Algérie, un pays africain, membre fondateur du NEPAD et président du MAEP, se doit de planifier ses engagements dans un esprit sous-régional (pour la région sahélo-saharienne) mais aussi continental pour s'inscrire dans la Position africaine commune (PAC) censée défendre les intérêts de l'Afrique, continent riche mais meurtri par les guerres, pauvre et en voie de développement», soutiennent encore les politiques.

Pour eux, «la PAC doit s'affirmer à la CoP21 qui sera un espace de négociations décisif, espérons-le, pour sortir avec un accord mondial inscrit dans un compromis entre les pays développés et les pays en développement».

L'Algérie le promet dans le domaine des énergies renouvelables. «L'Algérie a les moyens de son ambition dans le domaine des énergies renouvelables, une ambition «légitime» pour la hisser au statut de «leader africain, voire mondial» en la matière», a affirmé Lamamra. Il rappelle à cet effet que «l'Algérie est le pays le plus vaste d'Afrique, du monde arabe et de la Méditerranée et dispose de l'un des gisements solaires les plus importants au monde, estimé à plus de 5 milliards GW/an». L'Algérie s'emploie, fait-il savoir, à promouvoir des accords programmatiques et stratégiques à long terme avec des partenaires tant au Nord qu'au Sud, tant bilatéraux que multilatéraux.

Lamamra revendique un «accord universel (?) ambitieux, inscrit dans la durée et basé sur les dernières données scientifiques», comme il doit, également, être «flexible afin de pouvoir répondre rapidement aux exigences évolutives de demain et aux aléas d'un monde en perpétuelle mutation». Il le veut aussi être»l'aboutissement du processus initié juste après Copenhague, mais il doit être surtout le début d'un nouveau départ d'une communauté internationale réconciliée avec elle-même et en marche vers un devenir qui ne peut être que commun et solidaire».

Alliant la politique, la scientifique et l'histoire, le chef de la diplomatie algérienne a réaffirmé à Paris «la ferme détermination de l'Algérie de ne ménager aucun effort pour permettre à la communauté internationale d'être au rendez-vous de l'Histoire, à Paris le 11 décembre prochain, qui se trouve, a-t-il dit, être une date marquante dans la prise en charge de sa destinée par le peuple algérien».