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Grèce : Un gouvernement fort pour sauver une économie faible

par Abed Charef

Tsipras joue et mène au score. Même si le résultat final reste incertain, la manière de mener la négociation constitue un modèle du genre.

Le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, s'est révélé redoutable manœuvrier. L'habileté dont il a fait preuve lors des négociations pour sortir de la crise grecque lui a permis de rétablir une situation sérieusement compromise. Et même si, au bout du compte, il devra se résoudre à faire des concessions douloureuses, il aura tout de même réussi à obtenir, pour son pays, des faveurs exceptionnelles qu'aucun autre gouvernement n'aura imaginées.

Démagogue ? Un peu, oui. Populiste ? Certainement. Un peu bluffeur aussi, quand il le faut. Ce sont des qualités assez courantes dans les milieux de la gauche radicale. Mais dans une partie aussi difficile que celle de la dette grecque, tous les moyens sont bons pour tenter d'obtenir un maximum de concessions et alléger d'autant le fardeau de la crise sur les plus vulnérables. C'est l'objectif que le leader de Syriza s'est fixé. Force est de reconnaître qu'à défaut d'une victoire définitive, Alexis Tsipras a réussi à s'installer dans la meilleure configuration possible avant de reprendre les négociations.

Ultime preuve de cette habileté, le départ du gouvernement de son ministre des Finances, Yanis Varoufakis, devenu insupportable pour les Européens qui ne souhaitaient plus avoir affaire à lui. La démission de celui qui était devenu la bête noire de l'Allemande Angela Merkel et du Luxembourgeois Jean-Claude Junker, permet d'apaiser le climat des négociations, mais montre clairement un partage de tâches extrêmement bien rodé entre deux hommes unis par une complicité évidente. Cette démission ferait presque oublier que c'est le Premier ministre grec qui a écrit le scénario de la tragédie pour en confier le premier rôle à son ministre des Finances lors des deux premiers actes, avant de se replacer au centre du jeu pour l'acte suivant, qui sera décisif.

CHANGER DE METHODE

Mais d'ores et déjà, Alexis Tipras a obtenu des victoires inédites. Il a poussé l'Europe et le FMI à négocier sur un terrain inhabituel. Il a imposé une négociation politique, non purement technique et financière, comme cela était devenu la règle lors des crises précédentes. Les solutions traditionnelles ne pouvaient plus rien donner : la dette publique a atteint un pic de 180% du PINB cette année et le chômage a franchi la barre des 25%.

Le gouvernement grec a aussi poussé le bouchon très loin. Il a tiré sur la corde autant qu'il pouvait pour mener l'Europe vers ce que Bruxelles considérait comme la limite extrême de ce qu'elle pouvait offrir ; et c'est-là qu'il a changé les règles du jeu, en se retirant des négociations pour organiser le référendum du 5 juillet. L'opération lui a permis d'atteindre plusieurs objectifs. Il a renouvelé la légitimité que lui a offert le peuple grec lors des dernières législatives. Il s'est couvert contre un éventuel échec de sa démarche. Et il contraint l'Europe à admettre qu'il y avait de nouvelles limites à explorer. Le FMI lui a donné un coup de pouce inédit : il a admis que la Grèce ne peut pas rembourser sa dette, et que celle-ci devait être effacée dans une large proportion, ou repoussée à des échéances très lointaines, ce que propose précisément le gouvernement de M. Tsipras.

Après avoir imposé de nouvelles règles de négociations, il peut désormais jouer au conciliateur. Il change de ministre des Finances, affirme son attachement à l'Europe et rejoint la table des négociations. Il y a intérêt. L'Europe aussi. Pour que l'Allemagne puisse exporter ses voitures et que la France puisse vendre ses armes, il faudrait que les Grecs, mais aussi les Espagnols, les Portugais et les autres Européens soient assez prospères pour les acheter.

UN MODELE POUR AFFRONTER LA CRISE

M. Tsipras n'a pas encore gagné la partie, loin de là. La sympathie que son radicalisme a suscitée au sein de l'opinion européenne n'est pas une garantie de succès face aux vrais centres de pouvoir financiers européens et internationaux. Il ne pourra non plus faire l'économie de profondes réformes économiques, nécessaires pour garantir un minimum d'efficacité à l'économie grecque. Mais il a agi de telle manière qu'il s'engage dans la guerre dans les meilleures conditions possibles.

Ce qui a fait sa force ? Deux éléments : l'existence d'un projet politique et une légitimité démocratique à toute épreuve. M. Tsipras a défié un modèle européen qui a fait ses preuves. Car quoi qu'on puisse dire, l'Europe a réussi à offrir à ses habitants une prospérité certaine depuis la Seconde Guerre mondiale, elle a intégré et modernisé les anciens pays de l'Europe de l'Est et elle a évité tout conflit armé en Europe occidentale depuis 70 ans. C'est ce modèle à succès que Syriza a remis en cause, en affirmant qu'il y a peut-être mieux.

M. Tsipras bénéficie aussi d'une légitimité démocratique très forte. Pour éviter tout risque de dérapage, il a décidé de renouveler, dimanche dernier, le mandat que lui avait donné le peuple grec. Démarche populiste, peut-être, mais qui s'est avérée très utile. Elle lui permettra de reprendre les négociations dans de meilleures conditions, mais surtout de mener ensuite les réformes nécessaires.

Le PIB de la Grèce ne représente que 2% de celui l'Europe. Celui de l'Allemagne est près de vingt fois plus élevé. Pourtant, la Grèce a négocié pied à pied, grâce à une vision politique, et à une forte légitimité du pouvoir en place. Ce sont les deux armes les plus efficaces pour affronter la crise.

M. Tsipras aurait-il tenu tête à Angela Merkel et Catherine Lagarde s'il s'appuyait sur un concept aussi rudimentaire que le « programme du président de la république », et une équipe aussi inconsistante que le gouvernement de M. Abdelmalek Sellal ?