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Les peuples contre la finance

par Abdelhak Benelhadj

Les jésuites avaient devisé et discuté la constitutionnalité du référendum. Pas de temps, question ambiguë... Le problème est que la Cour constitutionnelle grecque valide la consultation. Mieux : c'est A. Merkel et J.-C. Juncker qui vont jusqu'à la clamer : « Vous l'avez voulue, vous l'aurez ! » Pari joué, pari perdu : aux deux tiers les Grecs (peu importe la question posée) sont derrière leur gouvernement.

L'attitude de l'Europe à l'égard de la Grèce n'est guère différente - à quelques grosses nuances allemandes près - de celle qu'on observe en France, en Espagne, au Portugal?

A l'exception d'une partie des « Verts », des communistes et du parti de Mélenchon, avec certains de leurs homologues en Europe et dans le monde, il n'est que peu de politiques en Europe qui soutiennent le gouvernement grec dans son bras de fer avec la Commission européenne, la BCE et le FMI.[1]

La droite européenne n'a pas de mots assez durs à l'égard des dirigeants grecs. La « gauche socialiste » française est curieusement très ambiguë. Les « frondeurs », eux comme d'habitude, clignotent à gauche et filent à droite sur l'échiquier socialiste toujours mouvant.

Le cabinet Valls voit bien poindre derrière le naufrage grec, ses propres travers, même s'il ne pourra durablement se glisser entre un mur et une affiche sans décoller l'affiche. Le couple Valls et Hollande joue la montre. Et pour le reste serre les f?

Les intellectuels, rejetons de nouvelle ligne sociale-libérale (les opportunistes pragmatiques du « socialisme réel ») sont plutôt sévères et certains s'entendraient bien avec leurs homologues d'en face?, ceux avec lesquels les socialistes permutent en toute cohabitation depuis 1983.

Toutes critiques adressées aux Grecs ne seraient admises qu'à une seule condition : que quelque part dans le monde une nation, une économie, une société? se pose comme exemple crédible et imitable (dans les mesures qu'on veut) d'une gouvernance rationnelle, raisonnable, sage, prospère et surtout efficace.

Qu'on offre aux « gauchistes infantiles et immatures » une porte de sortie. Qu'on offre donc à ceux qui sont désespérés et qui votent pour eux une alternative et un destin vraisemblable.

A l'exclusion d'un mode d'emploi alternatif, adaptable, ouvert, créatif générateur d'espoirs, il est à craindre que toutes les critiques objectivement pertinentes ne rajoutent du désordre au désordre. Je veux bien qu'on se débarrasse des dinosaures, des dictateurs, des incompétents, des parasites et corrompus de tout acabit: les hyènes et les loups font parfois cause commune et vivent copieusement sur la bête.

Est-il pertinent de confondre les dirigeants grecs avec les ventripotents stériles qui gouvernent sur les rives sud de la Méditerranée ?

Mais enfin, face à Alexis Tsipras il n'y a pas d'élus légitimes, oints par le suffrage : que des oligarques, des technocrates nommés par les donneurs d'ordres sans identités validées par un scrutin, du FMI qui demeure une organisation financière dirigée par des administrateurs qui n'ont jamais été élus par quiconque. Certes la BCE est une institution européenne, mais elle reste une société autonome qui n'a de comptes à rendre à personne.

À personne, vraiment ?

Le président de la Commission qui fait aujourd'hui chef d'Etat de l'Europe monétariste unie, même s'il a été validé par le Parlement européen, reste un fonctionnaire patenté.

La fin des 30 glorieuses a engendré la jungle, a libéré dans la plaine des fauves féroces et impitoyables.

Peu à peu on est passé de la coopération à la compétition sauvage. De complémentarité à la logique du jeu à somme nulle. Plus de frontières, plus de règlements. Que du laisser-faire et du laisser-aller. Le monde efface près de deux siècles de progrès humains.

Cela n'a rien à voir avec de l'incompétence, de l'indolence ou de l'égalitarisme puéril, la caricature qui égalise sans nuances les créateurs et les oisifs qui vivent aux crochets de la société.

Le gouvernement grec vient de se jouer face au peuple souverain. Tsipras a posé sa tête sur le billot. Attendant qu'on la lui écrase ou qu'on l'épargne.

Sans doute, faut-il se méfier de la portée de telles consultations. Elles ne remplacent pas les difficultés inhérentes à l'exercice laborieux du pouvoir.

Mais, en attendant, elles permettent de mesurer et de consolider le format de sa légitimité.

Sans doute, les adversaires du gouvernement à Athènes ne laisseront sûrement pas ce qui vient de se produire en Grèce remettre en cause les rapports de forces obtenus ailleurs, notamment en Espagne, au Portugal, en Italie, à Chypre ou en France.

Qui, en Europe, ou ailleurs, peut en dire autant ?

La Troïka ainsi que les régimes qui soutiennent la rigueur de ses négociations face à Athènes sont maintenant en face des conséquences de leurs inconséquences. Naturellement, à défaut d'expulser Syriza, ils peuvent toujours tenter de chasser le peuple grec d'Europe.

Mais alors on peut se demander à quel gendre d'Europe ils songent de produire et d'administrer.

La leçon de la crise grecque est cependant claire : l'Europe ne saurait être une affaire de banquier ou d'expert financier. L'Europe de la monnaie doit nécessairement laisser la place à la seule Europe qui vaille, la seule Europe viable et concevable, celle que méditaient les « Pères fondateurs » : l'Europe des peuples.

Le référendum grec a rendu un verdict sans appel : ce sera cette Europe-là ou pas d'Europe du tout.

[1] On peut y ajouter quelques intellectuels et des économistes (Thomas Piketty ou Joseph Stiglitz par exemple) qui, à titre individuel ou dans des pétitions protestataires, expriment leur dissentiment. Inutile de relever le soutien calculé de l'extrême droite qui comme d'habitude pêche en eaux troubles. Ceux qui comme H. Morin suggèrent de bouter les Grecs hors d'Europe, n'ont pas l'air de mesurer.