Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Révision de la Constitution et cohésion gouvernementale

par Ghania Oukazi

Des partis politiques demandent au président de la République de faire participer les Algériens dans la révision de la Constitution.

Il semble que le projet de révision de la Constitution n'est pas près de connaître son épilogue si l'on s'arrête aux déclarations de partis politiques qui réclament que les Algériens donnent leurs avis et opinions à ce sujet. L'on se demande pourquoi ont-ils attendu tout ce temps pour le faire. Il y a eu, en effet, deux commissions différentes, la première de Bensalah et la seconde de Ouyahia. Tous les deux ont été désignés par le président de la République pour mener, chacun pour sa part et sur des périodes différentes et distanciées l'une de l'autre, des discussions autour de ce projet avec «toutes les composantes de la société». Les partis politiques ont participé aux deux rounds sur plus d'une année d'intervalles. Ils étaient nombreux à avoir accepté de parler devant les commissions sur ce qui doit changer ou pas dans la Constitution. Personnalités nationales, politiques, intellectuelles, élus locaux et nationaux, représentants de «la société civile» et autres responsables d'institutions publiques et privées ont eu largement le temps et la liberté de «tout dire» aux deux commissions. Celles-ci ont depuis longtemps rangé leurs cahiers mais l'acte de consacrer cette révision n'est toujours pas pris définitivement. Et bien qu'il ait rappelé au début de l'année, qu'il y tenait, Bouteflika ne lui a toujours pas donné de date précise et fixe.

Par cette revendication de dernière minute, les partis politiques semblent d'ailleurs vouloir lui en trouver des circonstances atténuantes puisqu'ils se sont rappelé qu'il y a un peuple dans ce pays et qu'il faille lui donner la parole pour qu'il puisse s'exprimer sur le contenu de la future Constitution. Ils ne craignent pas ainsi de se discréditer et de remettre en cause en même temps leurs mandats en tant qu'élus. Ils reconnaissent en effet, implicitement, qu'ils ne représentent pas le peuple.

LE CONSEIL DE LA REVOLUTION OU L'ERE DE LA CHARTE NATIONALE

D'après ces politiques, le peuple est le plus apte à recadrer le contenu de la nouvelle Constitution, même après que tous ceux qui se targuent depuis plusieurs années d'être ses représentants ont pendant longtemps et en deux occasions donné leurs avis à ce sujet. Avis qui, faut-il le noter, ont été consacrés dans des rapports distincts et, selon leurs signataires, été remis au chef de l'Etat.

L'appel au peuple algérien pour s'exprimer sur la Constitution nous renvoie à 1976, année durant laquelle Houari Boumediene alors président de la République, ministre de la Défense et «au nom du Conseil de la Révolution», avait exigé que le micro soit donné à toutes les populations du pays pour qu'elles enrichissent, à l'époque, le débat sur la Charte nationale. La télévision publique officielle et unique n'avait de temps que pour sillonner les villes, campagnes, quartiers et rues pour interviewer les citoyennes et citoyens à ce propos. Le débat tournait en rond. Beaucoup d'Algériens avaient par exemple trouvé bizarre que le pouvoir ait opté pour la dénomination de «Nation» et non de «Peuple» pour désigner les Algériens. C'était toute une polémique, stérile de surcroît parce que l'explication de ce choix ne leur a pas été donnée. Le parti unique n'avait pas comme tâche de politiser les masses. Et si Bouteflika pense à rééditer l'expérience pour cette fois, il serait fou de penser que les nombreux partis politiques qui s'agitent sur la scène nationale aient pris la peine de le faire. Seulement, il lui sera plus facile d'entendre les Algériens s'exprimer en direct sur les écrans des multiples chaînes de télévision privées qui ont pignon sur rue tout en étant ailleurs par la force des satellites. Le pays en compte plus de 30, et ses officiels reconnaissent sans gêne que «5 seulement ont l'agrément». Ceci importe peu. L'audiovisuel privé agit comme les grosses fortunes «privées». Ils se mettent tous au service du pouvoir pour en entretenir les pratiques.

L'ARGENT, LE DROIT ET LE 4E POUVOIR

Entre l'Etat privatisé et l'Etat hors la loi, il n'y a même plus de pas à franchir. L'on se rappelle qu'à chaque fois que Bouteflika abordait le sujet des médias, il ne se lassait pas de répéter qu'il ne permettra jamais l'ouverture de l'espace audiovisuel d'une manière débridée comme l'a été la presse écrite privée. L'ouverture a bien eu lieu pas seulement d'une manière débridée, mais en dehors de toutes normes, éthique et déontologie. La République est même narguée à partir des écrans où trônent les assassins de ses propres enfants sans aucune pointe de pudeur, de regrets ou de cas de conscience. Le pouvoir a décidé de laisser faire. Les choses évoluent follement.

L'argent acquiert tous les droits, à commencer par semer le désordre au sein d'une corporation qui, pourtant, avec un minimum de courage et de volonté, aurait pu assainir ses rangs et reprendre sa véritable place en tant que professionnelle après avoir été partie prenante dans différents «combats et luttes» de clans et d'intérêts. Elle aurait pu imposer son statut de véritable quatrième pouvoir.

Ceci, bien sûr, pas avant qu'elle n'ait extirpé tous ses pions des cabinets noirs et des officines, ou de ce qu'il en reste et mis un terme à la voracité de certains de ses barons.

Pour l'heure, la situation dans laquelle évoluent les médias de tous bords se confond étrangement avec celles qui ont précédé des programmations à la casse des différentes collectivités ou corporations. La casse du secteur public, par effets collatéraux d'officiels interposés sous le prétexte fallacieux des conditionnalités du FMI, est encore fraîche dans les mémoires de ceux qui restent attachés à ce pays malgré ses effroyables déboires et ses fâcheuses déconvenues. La fermeture de fleurons de l'industrie nationale et d'entreprises productives en a été le coup de grâce. Le morcellement du secteur de la santé a bien eu lieu en permettant, entre autres, à ses personnels d'avoir un pas dans le public et l'autre dans le privé sans qu'aucune autorité ne puisse obliger à ce que le travail soit bien fait sous l'un ou l'autre statut. Sans compter la remise en cause du principe de la gratuité des soins par la force de la dégradation des structures de santé publiques dans leur ensemble et l'orientation par voie de conséquence, donc forcée, des patients vers les structures privées. La descente aux enfers du système éducatif n'a rien à voir avec Benghebrit. Elle a été amorcée depuis que les décideurs du pays avaient permis depuis les années 70 de faire fonctionner l'école et assurer le savoir par ceux-là mêmes que ce système avait recalés. Depuis, le pouvoir s'accommode plus des cancres que de la compétence qu'il s'arrange pour faire fuir dès qu'elle tente de revoir ses copies.

LE GOUT «D'INASSOUVIS»

Des copies de politiques publiques mal écrites sont légion. Les nombreuses stratégies industrielles, commerciales, économiques, éducatives, environnementales et autres sociales et culturelles élaborées à coups d'argent, d'énergies et de temps, ont toutes été refaites, réaménagées ou tout simplement jetées dans les poubelles.

Les équipes gouvernementales se succèdent mais la continuité de l'Etat n'est pas assurée. Elle n'est que discours. Il ne peut qu'en être ainsi quand on sait que pour tous les gouvernements, les passations de pouvoirs ont toujours laissé un goût d'inachevé ou plutôt «d'inassouvis» (intérêts). Les partants prennent en général le soin de laisser derrière eux, des enclaves ministérielles minées.

Il existe aujourd'hui des ministres qui se tirent dans les pattes. Il en est ainsi y compris dans un même ministère où les chefs se ravissent la vedette sur des dossiers politiques lourds, un autre chef qui boude publiquement un responsable d'une autre institution en l'accusant de marcher sur ses plates-bandes, d'autres qui creusent pour faire tomber ceux qui les gênent de leurs collègues. Il est difficile de parler de discipline ou de cohésion gouvernementale quand les coups fourrés sont donnés au grand jour. Le lancement officiel de «Constantine, capitale de la culture arabe 2015» en a démontré l'ampleur. C'est d'autant plus vrai quand l'occasion est saisie pour mettre entre parenthèses des institutions de l'Etat et rendre des hommages appuyés à des individus dont la seule mission depuis de longues années est de compter les gros sous de grosses réalisations sans «obligation de résultats».