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Reportage : Chaleur, vœux non exaucés et fausses notes

par Notre Envoyée Spéciale A Constantine : Ghania Oukazi

Il fait chaud et lourd en ce jeudi où la ville du rocher fêtait « Youm El Ilm » sur fond de commémoration du 60ème anniversaire du déclenchement de la guerre d'Algérie et inaugurait « Constantine, capitale de la culture arabe. »

C'est dès les premiers moments d'une mission que les journalistes se rendent compte qu'une couverture médiatique se fera sans vagues ou pas. Mercredi dernier, les représentants de la presse nationale dans tous ses volets, devaient s'envoler en direction de Constantine pour couvrir l'inauguration de la manifestation « Constantine, capitale de la culture arabe pour 2015 ». Le vol était prévu aux environs de 16h. Défaut national, le temps n'a jamais eu aucune importance, les choses se faisant toujours à peu près.

Beaucoup de journalistes étaient arrivés à l'ancien salon d'honneur vers les coups de 13h pensant que le vol Alger-Constantine était à 14h30. Désinformation, manque d'information ou manque d'attention, peu importe, c'est qu'ils ont attendu plus que les confrères qui étaient venus vers les coups de 14h 30 puisque, avaient-ils appris, le vol devait être à 16h. Deux ministres sont, eux, bien partis à Constantine à 14h 30 mais pas les journalistes. Coincés dans un salon « d'honneur » d'où il est difficile de sortir pour aller au moins grignoter quelque chose, les lignes nationales étant bien éloignées, les journalistes qui, affalés sur les fauteuils, d'autres assis à même le sol, attendaient qu'un appel des responsables d'Air Algérie qui tournaient sur les lieux leur annonce la bonne nouvelle du départ. Quatre longues heures étaient passées. Vers 18h, les journalistes sont enfin appelés à embarquer sur un ATR dont l'étroitesse donne toujours l'impression qu'on est entassés les uns sur les autres. L'essentiel était qu'on embarquait. Avares d'informations et fermés à la communication par prudence ou par peur du « complot », les responsables « aériens ne diront rien. On apprend par ouï-dire que le petit coucou a remplacé le grand (un Boeing) parce que ce dernier a été cloué au sol pour cause d'incident technique. Il a fallu réfléchir quatre longues heures pour enfin décider de détourner un ATR devant s'envoler pour Oran et prendre les journalistes à Constantine. L'équipage qui était dedans a eu écho de ce changement à la dernière minute. Au passage, il faut rappeler que la presse devait partir jeudi dans l'avion du 1erministre et ses invités mais elle a été appelée pour embarquer mercredi sur sa demande, nous dit-on, parce qu'il a voulu qu'elle couvre la parade populaire représentant 22 pays arabes avec en tête de cortège la Palestine et la 23ème celle de Constantine. Elle devait s'élancer vers 19h pour sillonner les rues de Cirta. Le vœu du 1er ministre n'a pas été exaucé. Les journalistes sont arrivés à Constantine à un peu plus de 21h. Ils ne verront pas la parade. Ils descendront des bus qui les ont ramenés de l'aéroport pour transiter par des endroits grouillant de monde afin d'atteindre les hôtels où ils devaient être hébergés. Première parole gentille et grand sourire furent ceux de l'actrice Fatiha la Constantinoise qui nous avait dit qu'elle trouvait du plaisir à se balader « à cette heure-ci et en ces temps de fête ». Il fallait pousser des coudes pour se frayer un passage au milieu de la foule de jeunes, euphoriques peut-être parce c'était la grande fête. Traînant leurs bagages, les journalistes auront du mal à avancer. « Faites attention à vos portables et à vos sacs, on pourrait vous les voler », prévient un policier. « Bouge ! fais vite, pour qui tu te prends ? Espèce de? Quoi ? Tu n'es pas content ? », lance un autre flic à la face d'un journaliste interloqué par cette agression verbale. Il faut dire que les journalistes étaient obligés de se faufiler entre les « chars » coupant ainsi « le file du défilé ».

LES FOLLES ATTENTES DES JOURNALISTES

L'arrivée aux deux hôtels a été laborieuse. Les journalistes femmes ont eu droit à des chambres single. Les hommes, eux, n'ont pas eu « ce privilège. » Les invités de Constantine étaient trop nombreux et les hôtels bien moins. Des fous rires ont éclaté quand ils sont venus raconter leurs déboires à leurs consœurs. Les chambres étaient équipées d'un grand lit à deux places. Il fallait voir la tête de nos confrères. «Comment je dois faire pour dormir ce soir ? Je ne peux pas me mettre dans un même lit avec mon collègue », se lamente un d'entre eux dans les couloirs. Nous avions imaginé nos deux grands amis photographes, l'un gros et grand et l'autre grand et mince, dans un même lit? La réception leur a soufflé quand même que les chambres avaient des clic-clac que l'un des deux journalistes pouvait ouvrir et dormir dessus. Le matin, c'était marrant de voir la tête d'un confrère qui s'est vu obligé de rester éveillé parce qu'il a vu son copain de chambre mettre un déodorant de femme. Il vaut mieux en rire. Il faut avouer que les femmes étaient en single mais dans des chambres dont la propreté était douteuse. Certaines avaient leurs douches bouchées. La cerise sur le gâteau, en ce jour de chaleur, les chambres n'avaient pas de climatisation. « Nous n'avions que le chauffage », nous répond une gentille voix de la réception.

Dès leur arrivée à l'aéroport de Constantine, les journalistes étaient partagés en deux groupes en prévision de la couverture des haltes du Premier ministre. Jeudi, Sellal devait inaugurer quatre structures culturelles et touristiques. Les journalistes n'avaient pas le droit ni de changer de bus ni de points à couvrir. L'on se demande sur quels critères ont-ils été choisis pour couvrir l'un ou l'autre point du programme du 1er ministre. Le temps est encore et toujours gaspillé. Le « 2ème groupe » de journalistes sera dirigé vers la maison de la culture Malek Haddad pendant que le premier ira vers l'aéroport pour « accueillir » Sellal. L'attente à la maison de la culture sera longue de trois heures et même plus. Encore pour rien.

LA RAGE DES AMBASSADEURS

A son arrivée, le 1er ministre parlera sans que les journalistes ne puissent l'entendre. Pour ne pas changer, il n'y avait pas de sono.

Lors de son inauguration de l'hôtel Marriott, Sella sera accueilli sous les airs de la splendide musique aissaoua. Du pur constantinois. Il a dû frissonner à l'écoute de ses merveilleux chants qui doivent certainement lui rappeler sa jeunesse. On ne le verra pas tellement, il y avait foule autour de lui. On n'entendra pas non plus ses réflexions très souvent amusantes, qui déstressent. La virée au Mariott était la dernière halte de Sellal. Il avait reçu en aparté le SG de la Ligue arabe et d'autres personnalités. Le hall était bondé de monde. Les ambassadeurs pensaient que la visite n'était pas encore terminée. Déçus d'être « retenus » dans un hôtel pour y loger et dîner en attendant le spectacle du Zénith, certains d'entres eux tenaient à faire le tour de la ville. Impossible de bouger « par mesure de sécurité ». Beaucoup d'entre eux voulaient visiter Constantine mais ils n'auront pas ce plaisir. Les organisateurs n'y ont pas pensé. Le tour dans Constantine sera poussiéreux et humide pour les journalistes. Il faisait très chaud et très lourd en ce jeudi matin. Des Constantinois se plaignent de l'humidité qui, pensent-ils, « provient du barrage de Beni Harroun ». La question pour quel choix opter, l'humidité ou le manque d'eau, n'a pas été posée aux Constantinois. Dans le jet d'eau du centre-ville, des enfants barbotaient dans l'eau sous les yeux amusés des policiers. Par contre, des collègues à eux auront du plaisir à bloquer quelques heures plus tard un des bus des journalistes qui avait pourtant sur son pare-brise un coupe-file, l'empêchant ainsi de suivre le cortège officiel. Il est curieux que les services de sécurité ne communiquent pas entre eux pour savoir qui doit bouger ou pas quand les officiels passent. A chaque fois que les journalistes arrivaient à un point d'inspection du 1er ministre, ils étaient fouillés, parfois même au corps. Pourtant, les cadres des différentes institutions ne l'étaient jamais. C'est à croire que les premiers ont le faciès du terroriste alors qu'ils viennent très souvent dans le même avion que le 1er ministre. Bizarre comme « critères ou normes » de sécurité. Les journalistes devaient dîner d'abord avant de se diriger à la salle des spectacles bien loin du centre-ville. Ils ont été conviés à le faire dans un sous-sol d'un des deux hôtels d'où il n'y avait aucune issue.

L'AIRBUS FLAMBANT NEUF DE GHOUL

En l'absence d'une bonne gestion du temps, ils sont tenus d'attendre indéfiniment sans pouvoir aller se restaurer ou prendre un café la où ils veulent et avec leurs propres moyens.

La salle Ahmed Bey est belle et imposante. Moderne, spacieuse mais elle ne suffira pas aux innombrables invités venus de toutes parts. Les journalistes n'avaient pas leur carré. Les cameramen et photographes pouvaient déambuler. Mais ceux qui écrivent ne doivent pas plaire aux responsables parce qu'il leur est toujours demandé de ne pas bouger de leur place. Très loin de la scène, les nombreuses caméras bouchant presque les horizons, nous essayons de voir comment sont installés les officiels, par simple curiosité de journaliste. Nous aurons droit quand même à descendre jusqu'aux premiers carrés des sièges. On a pu s'asseoir, mais à même le sol.

Constantine est encore en chantier. Elle a ses trottoirs défoncés, ses bâtisses vieillissantes et ses rues noires de monde. Mais elle restera la fabuleuse ville du Rocher dont les grands édifices ont été illuminés depuis mercredi dernier par des couleurs chatoyantes et multiples. Après le dîner au Mariott, les officiels ont assisté au spectacle de feux d'artifices. Les journalistes n'ont rien vu puisqu'ils attendaient depuis longtemps à la salle Ahmed Bey l'arrivée du 1er ministre et de ses invités.

Hier, les journalistes de la presse écrite avaient la peur au ventre de ne pas rentrer sur Alger pour écrire leurs papiers. De tergiversations à d'autres, ils ont eu droit à embarquer dans le même avion que Sellal. Un Airbus A330-200 flambant neuf que Ghoul a inauguré la semaine dernière.