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Bénéficier de davantage D aide pour en faire un meilleur usage

par Angel Gurría * et Erik Solheim **

PARIS - L'effort pour éradiquer la pauvreté dans le monde n'a jamais été aussi intense. En 2014 pour la deuxième année consécutive, l'aide publique au développement (APD) a atteint un niveau historique de 135 milliards de dollars, selon les nouveaux chiffres de l'OCDE. Cela indique que les économies avancées restent engagées dans la promotion du développement mondial, malgré leurs propres problèmes récents.

Si l'on ajoute à ce total les dépenses substantielles de la Chine, des États arabes et des pays latino-américains sous forme d'investissements et de prêts, il est clair que les flux de l'APD vers les pays en développement ont atteint des niveaux sans précédent. Et pourtant les bonnes nouvelles de ces chiffres ne doivent pas masquer certaines possibilités de canaliser plus efficacement ces fonds.

L'aide publique des pays donateurs a permis de réduire de moitié l'extrême pauvreté et la mortalité infantile et a produit des avancées sur plusieurs autres fronts. Mais il est de plus en plus évident que les flux soutenus d'aide au développement ne suffiront pas à éradiquer l'extrême pauvreté d'ici 2030 ni à mettre en œuvre les nouveaux Objectifs de développement durable de l'Organisation des Nations Unies, qui doivent être approuvés dans le courant de l'année.

L'argent consacré actuellement à l'aide pourrait avoir un impact sensiblement plus fort s'il était utilisé pour mobiliser des flux d'impôts nationaux et des investissements privés dans les pays dépendants de l'aide. On saisit mieux une telle utilisation de l'APD grâce au nouvel indicateur mis en place le 8 avril par l'OCDE : l'Aide publique totale au développement.

En moyenne, les pays en développement augmentent leurs impôts à hauteur de 17% de leur PIB, par rapport à 34% dans les pays de l'OCDE. Certains en perçoivent seulement 10%. Une grande partie de la perte en recettes fiscales s'échappe par des flux illicites et se termine à l'étranger.

L'Afrique par exemple, perd environ 50 milliards de dollars par an dans les flux illicites, beaucoup plus qu'elle ne reçoit par l'aide au développement. Permettre aux pays en développement de générer seulement 1% de plus du PIB en impôts permettrait de mobiliser deux fois plus d'argent que le montant total de l'APD. Tous ces fonds pourraient en outre être canalisés dans des programmes d'éducation, de santé, de sécurité, ou dans des systèmes de décaissement.

Les rendements issus de l'argent dépensé dans le renforcement des systèmes fiscaux peuvent être énormes. Au Kenya Inspecteurs des impôts sans frontières, un projet piloté par l'OCDE, a constaté que chaque dollar dépensé dans la collaboration avec les autorités dans la répression de l'évasion fiscale, a généré 1 290 dollars d'augmentation des revenus. De même, aux Philippines, un demi-million de dollars prévu pour soutenir la réforme fiscale a généré plus de 1 milliard de dollars en recettes fiscales supplémentaires. Pourtant à l'heure actuelle, seulement 0,1% de l'aide au développement, soit un peu moins de 120 millions de dollars, sert surtout à soutenir les systèmes fiscaux dans les pays en développement.

L'aide au développement bien canalisée a aussi le potentiel de mobiliser les investissements privés quand elle est allouée à la réduction des risques. Des garanties, des prêts bonifiés et des participations au capital, soutenus par l'aide au développement, peuvent aider à attirer les investisseurs comme cela a été le cas pour des projets d'énergie solaire au Mali et pour des usines en Éthiopie. En 2014 Andris Piebalgs, alors Commissaire européen au Développement, a constaté que des subventions d'une valeur de 2,1 milliards d'euros (2,2 milliards de dollars) " avaient atteint un effet de levier d'environ 40,7 milliards d'euros dans 226 projets depuis 2007. "

Il est important en outre que l'aide cible les domaines qui en ont le plus grand besoin. Même si l'aide est restée à des niveaux record l'an dernier, les fonds fournis aux pays les moins développés du monde ont en fait reculé. Des programmes au long cours dans des pays mieux lotis ont reçu de plus grandes quantités d'argent, tandis qu'une série de candidats plus pauvres ont été une fois de plus négligés.

Lorsque les dirigeants mondiaux vont se réunir à Addis-Abeba en juillet au Sommet pour le financement du développement durable, ils devront accepter de canaliser l'aide vers ces pays ayant le moins accès à d'autres sources de financement, ayant la plus grande difficulté à attirer les investisseurs et donc les systèmes fiscaux les plus faibles. Les groupes vulnérables, comme les minorités ethniques et religieuses et les populations rurales autochtones qui luttent pour sortir de la pauvreté, doivent bénéficier d'une attention particulière.

Les 29 pays membres du Comité d'aide au développement de l'OCDE se sont engagés à inverser le déclin de l'aide aux pays les plus pauvres du monde. Ces pays donateurs se sont également engagés à atteindre un objectif de dépenses d'au moins 0,15% de leur revenu national brut en faveur de l'aide au développement destinée aux pays les moins développés des Nations Unies. En outre ils ont reconnu de nouvelles règles qui doivent canaliser davantage de ressources à des conditions plus souples vers les pays les plus pauvres. Ces règles devront également permettre la mise en œuvre de nouvelles mesures de protection visant à assurer la durabilité de la dette.

Nous sommes la première génération dans l'histoire de l'humanité disposant des moyens de tirer chaque habitant de la planète d'une pauvreté abjecte. Il y a assez d'argent dans le monde. Il est essentiel que nous en fassions un meilleur usage.

* Secrétaire général de l'OCDE, ancien ministre des Affaires étrangères et ministre des Finances du Mexique.

** Ancien ministre du développement international de la Norvège, président du Comité d'aide au développement de l'OCDE.