Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La zone euro donne des signes de vie

par Nouriel Roubini *

NEW YORK – Les dernières données économiques de la zone euro suggèrent qu’une reprise pourrait être à portée de main. Quel en est le moteur ? Quels obstacles s’y opposent ? Et comment peut-elle être encouragée ?
 
Les causes immédiates de la reprise ne sont pas difficiles à discerner. L’an dernier, la zone euro était sur le point de succomber à une récession à double creux. Quand cette dernière est récemment tombée en déflation technique, la Banque centrale européenne a finalement appuyé sur la gâchette de l’assouplissement agressif et a lancé une combinaison de mesures d’assouplissement quantitatif (y compris des achats d’obligations souveraines) et de taux directeurs négatifs.

L’impact financier a été immédiat : en anticipation de l’assouplissement monétaire ainsi qu’après son démarrage, l’euro a chuté, les rendements obligataires dans le centre et la périphérie de la zone euro sont tombés à des niveaux très bas et les marchés boursiers ont commencé à enregistrer des performances robustes. Ceci, combiné avec la forte baisse des prix du pétrole, a stimulé la croissance économique.

D’autres facteurs y contribuent également. L’assouplissement du crédit de la BCE revient à subventionner les prêts bancaires. Le frein budgétaire provoqué par l’austérité sera moindre cette année, grâce à la plus grande clémence de la Commission européenne. Enfin, le début d’une union bancaire aidera également ; suite aux tests de résistance et aux examens de qualité des actifs récents, les banques disposent d’une plus grande liquidité et de davantage de capital à prêter au secteur privé.

En conséquence, la croissance de la zone euro a repris et les actions de la zone euro ont récemment surperformé les actions américaines. L’affaiblissement de l’euro et les mesures agressives de la BCE pourraient même stopper la pression déflationniste dans les prochains mois.

Néanmoins, une reprise plus robuste et soutenue est toujours confrontée à de nombreux défis. Pour commencer, les risques politiques pourraient faire dérailler les progrès. La Grèce, on l’espère, restera dans la zone euro. Mais les négociations difficiles entre le gouvernement dirigé par Syriza et la « troïka » (la BCE, la Commission européenne et le Fonds monétaire international) pourraient provoquer un accident involontaire – baptisé « Grexident » – si aucun accord sur le financement du pays n’est atteint au cours les prochaines semaines.

Par ailleurs, Podemos, un parti de gauche coulé dans le moule de Syriza, pourrait arriver au pouvoir en Espagne. Des partis populistes anti-euro de droite et de gauche sont en train de concurrencer le Premier ministre italien Matteo Renzi. Et Marine Le Pen, du parti d’extrême droite Front national, se place haut dans les sondages en vue des élections présidentielles françaises en 2017.

La lenteur des créations d’emplois et de la croissance du revenu peuvent continuer à alimenter les réactions populistes contre l’austérité et la réforme. Même la BCE estime que le taux de chômage de la zone euro sera encore de 9,9% en 2017 – bien au-dessus de la moyenne de 7,2% avant la crise financière mondiale il y a sept ans. De plus, la fatigue de l’austérité et des réformes dans la périphérie de la zone euro a engendré une fatigue équivalente des plans de sauvetage dans le cœur de la zone euro, générant un large soutien en faveur d’un éventail de partis anti-euro en Allemagne, aux Pays-Bas et en Finlande.

Un deuxième obstacle à une reprise soutenue est le mauvais voisinage de la zone euro. La Russie est de plus en plus autoritaire et agressif en Ukraine, dans les pays baltes et même dans les Balkans (tandis que les sanctions contre la Russie ont fait du mal à de nombreux pays européens). De plus, le Moyen-Orient est en feu juste à côté : les récents attentats terroristes à Paris et Copenhague, ainsi que contre des touristes étrangers en Tunisie, rappellent à l’Europe que des centaines de djihadistes originaires de leurs pays pourraient revenir des combats en Syrie, en Irak, ou ailleurs, et lancer de nouvelles attaques.

Troisièmement, bien que les politiques de la BCE maintiennent les coûts d’emprunt à des niveaux faibles, la dette privée et publique dans les pays de la périphérie, en tant que part du PIB, est élevée et continue à augmenter, parce que le dénominateur du ratio de la dette – le PIB nominal – peine à augmenter. Ainsi, la soutenabilité de la dette restera un problème pour ces économies à moyen terme.

Quatrièmement, la politique budgétaire reste restrictive, parce que l’Allemagne continue de rejeter un nombre grandissant de conseils qui lui expliquent qu’elle devrait entreprendre une relance à court terme. Ainsi, une hausse des dépenses allemandes ne viendra pas compenser l’impact de l’austérité supplémentaire dans la périphérie ni le manque de fonds significatif attendu par rapport au plan d’investissement de 300 milliards d’euros (325 milliards de dollars) en trois ans dévoilé par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

Cinquièmement, les réformes structurelles continuent à être adoptées à un rythme extrêmement lent, ce qui freine la croissance potentielle. De plus, bien que les réformes structurelles soient nécessaires, certaines mesures – comme la libéralisation du marché du travail ou la réforme des retraites – pourraient stimuler le taux d’épargne de la zone euro et donc affaiblir encore plus la demande globale (tel que cela s’était produit en Allemagne après ses réformes structurelles il y a une dizaine d’années).

Enfin, l’union monétaire de l’Europe reste incomplète. Sa viabilité à long terme nécessite l’évolution dans le temps vers une union bancaire, budgétaire, économique et finalement politique complète. Or, le processus de l’intégration européenne est au point mort.

Si le taux de chômage de la zone euro reste trop élevé à la fin de 2016, l’inflation annuelle reste bien en dessous de l’objectif de 2% de la BCE et les politiques budgétaires ainsi que les réformes structurelles exercent un frein à court terme sur la croissance économique, la seule possibilité pourrait être un assouplissement quantitatif continu. Or, la faiblesse persistante de l’euro – encouragée par une telle politique – alimente la croissance de l’excédent du compte courant de la zone euro.

En effet, avec l’affaiblissement de l’euro, les comptes externes des pays périphériques ont basculé d’une position de déficit à l’équilibre et, de plus en plus, à un excédent. L’Allemagne et le cœur de la zone euro connaissaient déjà d’importants excédents ; en l’absence de politiques destinées à stimuler la demande intérieure, ces excédents ont tout simplement encore augmenté. Ainsi, la politique monétaire de la BCE aura de plus en plus un effet protectionniste, conduisant à des tensions commerciales et de change avec les États-Unis et d’autres partenaires commerciaux.

Pour éviter cette issue, l’Allemagne a besoin d’adopter des politiques – une relance budgétaire, une augmentation des dépenses d’infrastructures et d’investissement public et une croissance des salaires plus rapide – qui stimulent la dépense intérieure et réduisent l’excédent externe du pays. Si, et tant que, l’Allemagne n’emprunte pas cette direction, personne ne devrait trop miser sur une reprise de la zone euro plus robuste et durable.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont

* Président de Roubini Global Economics et professeur d’économie à la Stern School of Business, NYU.