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Qui sauvera la dinanderie ?

par Rekibi Chikhi

Des objets en cuivre haut de gamme, produit de l'artisanat local, sont clandestinement acheminés à partir de Constantine, à travers nos frontières et revendus en Tunisie comme étant un produit tunisien», nous a affirmé M. Abid Abdelfettah, le président du département information et des moyens généraux de la CAM (la chambre de l'artisanat et des métiers).

La décadence ces dernières années du secteur touristique a, en grande partie, contribué à l'anéantissement de tout le métier artisanal, sous ses différentes facettes, dans toutes les villes dites touristiques, naguère. La gravure sur cuivre, un métier qui ne doit sa survie, à Constantine et partout ailleurs en Algérie, qu'aux seuls sacrifices consentis par les vrais gens de cet artisanat d'art. Des objets d'art façonnés avec entrain et amour, boudés par «une clientèle qui, par méconnaissance en la matière, sous-estime la valeur réelle d'une œuvre qui a demandé dans certains cas des journées entières, d'un travail de précision ou l'erreur n'est pas permise et ou la rigueur est constamment de mise», souligne M. Boudinar El Hacen, président de l'association l'Art de la dinanderie de Constantine, qui précise que le kilo de cuivre rouge revient à 1000 DA, le jaune à 900 DA. «Les gens jugent les prix inabordables, toutes les bourses peuvent trouver quelque chose qui leur convient tout de même, ces prix sont fixés selon la qualité du travail, l'épaisseur de la plaque de cuivre utilisée, le temps consacré à son élaboration et les dimensions de l'objet même», nous informe un vendeur de bibelots, non sans mettre l'accent sur l'irrecevabilité des arguments avancés par les citoyens. «Pour s'habiller bien, les mêmes personnes peuvent dépenser volontiers, en moyenne, jusqu'à 100.000 DA par tenue, mais ils ne donneraient même pas le tiers de cette somme pour un objet fait d'un métal côté en bourse, tout à fait comme l'or», dira-t-il. Un état des lieux désastreux de cette profession, étant donné que même s'il brille, le cuivre n'est pas or et la seule manière de le revaloriser c'est bien d'offrir un produit qui s'impose par sa qualité et forcera en quelque sorte les gens de l'acheter, même s'ils n'ont en pas besoin, pour l'offrir en cadeau. Un travail contraignant exigeant des gestes manuels monotones mais aussi répétitifs, donc très dur à accomplir, un métier aussi ingrat qu'exigeant, comme a tenu à le souligner M. Abid Abdelfettah, «un bénéfice enregistré, tout a fait dérisoire, qui ne dépasserait pas, aussi aberrant qu'il semble, les 5 DA par une pièce simple, alors que le revendeur, lui, y gagne dix fois plus». Nos interlocuteurs mettent le doigt sur le mal qui ronge tout un métier, afin de réanimer un art qui se meurt en silence après avoir souffert longuement et en silence aussi. C'est dans cette optique que, «20 à 30 jeunes venus de la région est, suivent au siège de la CAM, une formation d'un mois par an en dinanderie, la dernière en date a eu lieu au mois de novembre dernier», relève M. Abid, précisant que la formation est suivie avec deux jours de cours théoriques et 28 jours de cours pratiques à travers une tournée autour des ateliers des dinandiers professionnels qui sont rémunérés contre leur apprentissage par une caisse subventionnée par le ministère et qui finance également l'achat de petits matériels, ajoute-t-il. Toutefois, «2 jeunes seulement sur la trentaine formée à chaque fois, expriment au terme du stage, un réel intérêt pour le métier et se rapprochent de ce fait de la CAM pour obtenir leurs cartes d'artisan», souligne notre interlocuteur. Et de nous faire savoir, toujours dans le contexte de la formation, que le centre de la formation professionnelle de Daksi dispose d'un équipement très sophistiqué, lequel est actuellement livré à l'abandon. Deux promotions y ont été formées en 2010 et en 2014, le profil choisi pour la sélection des apprenants serait vraisemblablement derrière l'échec de cette formation, à l'enseigne des handicapés moteurs et des malvoyants qui figuraient parmi les apprentis dinandiers. «Un échec total à tel point que des enseignants ayant encadré ces formations, en mal d'emploi, travaillent actuellement comme surveillants dans les établissements scolaires», souligne notre interlocuteur.

Dans le même sillage, le président de l'association, l'Art de la dinanderie, dira «bien que notre association ait organisé en collaboration avec la CAM, des formations au profit des personnes atteintes d'un handicap moteur, ce métier, et loin de moi de vouloir toucher à l'amour-propre de cette catégorie de citoyens, est l'un des métiers qui exige une totale efficacité des capacités motrices et mentales chez les personnes qui l'exercent et qu'il faut repenser cette idée qui dit que tout handicapé est à même de devenir artisan. Parce qu'on ne devient pas artisan, on naît comme cela». Former un nouvel potentiel humain pour prendre la relève n'aura pas, donc suffi, à remédier au problème posé. Repenser totalement la question, s'impose alors, étant donné que le mal doit se trouver forcément ailleurs. Toute une procédure a été, ainsi, engagée dans ce sens par l'ONUDI (l'Organisation des Nations unies pour le Développement industriel) et un séminaire a été organisé récemment, à Dar El Imam où ont pris part, entre autres, M. Mohamed Khouidmi représentant du l'ONUDI, des représentants de la CAM et les artisans. Suite auquel, une délégation composée d'un expert en design, un Italien, une Allemande et de M. Khouidmi s'est déplacée à Constantine mercredi dernier et a rendu visite aux artisans dans leur ateliers à Souk Enhass (le marche du cuivre) situé dans le quartier Bardo et ont pris des photos. «Ils ont énormément apprécié la qualité de notre travail, réalisé dans des conditions pas du tout favorables à un métier d'art comme celui-ci», nous a déclaré M. Boudinar. Signalons que le 24 mars prochain devrait partir le premier artisan dinandier constantinois, M. Talhi Abdelmalek, pour suivre une formation en design au centre de formation professionnelle d'El-Koléa, une sorte d'éclaireur qui va aider les formateurs à bien orienter leur formation et qui sera suivi par 40 autres et cela va s'étendre et englober tous les artisans, «mêmes ceux informels», précise-t-on. Dans le cadre du projet «Développement des clusters dans les industries culturelles et créatives dans le sud de la Méditerranée» financé à hauteur de 6 milliards d'euros par l'UE et l'Instance de la coopération italienne au développement s'étalant sur 3 ans, de 2015 à 2017. « Un cluster ou un regroupement sera mis à pied à Constantine dont feront partie les 130 artisans enregistrés à la CAM, en plus de 150 autres informels et qui n'ont pas été enregistrés à cause des obstacles administratifs liés à la disposition d'un local», nous informe M. Boudinar. Les 6 mois prévus pour l'analyse et le diagnostic, déboucheront, comme l'espèrent les gens du métier par détecter le défaut réel dans la gestion de cette profession, trouver les points faibles et les points forts et établir la chaîne des valeurs. Un plan d'action sera fait à travers la formation, le coaching, une nouvelle vision du design verra le jour et prendrait en considération les goûts de chaque région et une meilleure préparation et organisation des salons et expositions. Une fois ces étapes arrivées à bon terme, «l'artisan pourrait sortir du cadre du ??mal loti et de nécessiteux», dans lequel il a été longuement emprisonné et devenir un vrai entrepreneur qui affrontera le volet de la commercialisation en toute sérénité et ouvrira de nouveaux marchés sur le plan national et pourquoi pas international, si une qualité concurrentielle sera atteinte au bout de toutes ces actions», nous dira M. Abid. Le salon international de la dinanderie pour l'année 2015, dans sa treizième édition au mois de juin à Constantine et s'inscrivant cette fois, dans le cadre des festivités de l'événement Constantine capitale de la culture arabe, aurait quelque chose à nous révéler.