« Tu as quel âge ?», interrogea l'enfant son grand-père.
L'ancêtre réfléchit dix secondes, le temps de compter dans sa tête ses années
et répondit : «J'ai l'âge de l'indépendance». L'enfant le regarda perplexe, un
sourire d'enfant innocent aux lèvres. «Et l'indépendance, elle a quel âge elle
?», attendant patiemment la réponse. Le grand-père, fatigué par la vie, fit
semblant de ne pas l'avoir entendu. L'enfant avec l'impertinence de son âge
revint à la charge. «Dis grand-père, l'indépendance, elle a quel âge et que
veut dire l'indépendance ?», insista-t-il. Le grand-père, devant cette colle,
bafouilla, ne sachant plus comment définir cette indépendance pourtant simple à
expliquer. «Eh bien, en 1962, la France qui nous a colonisés pendant 132 ans
est repartie chez elle». «Et pourquoi elle est repartie chez elle la France ?
Dis pourquoi elle nous a quittés ?». «On a fait la guerre et on l'a chassée
gamin, tu comprends ça ! L'Algérie a payé de son sang pour avoir son indépendance».
«Et c'est où la France ?», demanda de nouveau le petit curieux. «Là-bas, de
l'autre côté de la mer là où il y a la Tour Eiffel et le PSG et le Qatar»,
expliqua, à bout de patience, le grand-père en désignant de son doigt tout
froissé un point dans l'horizon. «Là où est parti ton père travailler»,
ajouta-t-il excédé par tant de questions. «Alors comment ça se fait qu'il est
parti travailler chez la France qui nous a tués et volés pendant 132 ans ?». Le
grand-père se tut, ne sachant plus quoi répondre. Il laissa le point
d'interrogation de son petit-fils en suspens et s'en alla. Le gosse alla
trouver sa mère à la cuisine et lui posa la même question. «Il est parti pour
travailler et nous envoyer de l'argent», expliqua-t-elle. «Et pourquoi il n'y a
pas d'argent en Algérie ?», enchaîna l'enfant. «Parce que des gens méchants ont
tout pris après l'indépendance. Ils ont privatisé l'Algérie, se la partageant
entre eux, leurs noms de famille et leurs amis. Ils ont construit des villas
immenses, achetés des millions d'hectares au dinar symbolique, détruit des
usines pour vendre les terrains où on a construit des appartements que ni ton
père ni le voisin d'en face, celui qui trime à l'usine, ne pourront jamais
s'acheter», expliqua patiemment la mère. «Et que font-ils de tout cet argent
?», insista le gosse. «Eh bien, je ne sais pas trop, ils achètent peut-être des
maisons en France ou ailleurs. En tout cas, ils ont pris tellement d'argent
qu'ils sont à l'abri du besoin pour cinq générations». «S'ils aiment autant la
France, alors pourquoi on lui a fait la guerre et on l'a chassée ?». La
question désarçonna la mère qui préféra envoyer son fils jouer devant la porte
de l'immeuble. «Dis maman et mon père, il a quel âge lui ?». «Il a l'âge
d'Octobre 88». «Et que veut-dire Octobre 88 ?»...