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Médecine du travail : Le tableau des maladies professionnelles tarde à être réactualisé

par Salah C.

Au moment où, sous d'autres cieux, la notion de médecine du travail a évolué et s'intitule désormais la santé au travail, en Algérie, ce segment de la santé publique, basée pourtant sur la prévention, demeure marginalisé et ne constitue nullement une priorité chez les responsables nationaux de la santé. C'est ce qui ressort des déclarations du professeur Teboune, le chef de service de la médecine du travail du CHU d'Oran et de l'un de ses adjoints, Dr Djazouli. Ce dernier explique que cette évolution signifie que garder l'ancienne appellation reviendrait à comprendre que dans le monde du travail il y a encore des sujets malades. La nouvelle approche se veut plus valorisante et il est question de préserver l'état de santé du travailleur, allant de son organisme à son mental, en passant par ses conditions sociales, et également de réduire au maximum les risques d'accidents de travail. A ce sujet, le spécialiste estime que la persistance de cas d'handicaps corporels et de décès signifie l'échec de la prévention, en rappelant que chaque entreprise ou chaque secteur d'activités à ses propres caractéristiques. Pourtant, au plan de la législation, l'Algérie n'a rien à envier à d'autres pays plus huppés du fait qu'elle est inspirée de la législation internationale que promulgue l'organisation internationale du travail (OIT). Au registre des maladies professionnelles, Dr Djazouli fait remarquer que l'Algérie accuse un retard en matière de reconnaissance de ces maladies et la nomenclature dans ce domaine date de 1997 et qui fixe le tableau à 84 maladies professionnelles, abstraction faite de la dysphonie chronique spécifique au personnel enseignant et ce, suite à des mouvements de protestation animés par les syndicats. D'autres maladies générées par des matières cancérigènes ne sont pas encore répertoriées. « Le déficit se situe au niveau de l'application de la loi, et à titre d'exemple, la loi portant l'interdiction de fumer dans les lieux de travail existe depuis 2005, mais son application et son respect tardent à venir », a fait remarquer notre interlocuteur en précisant que ce déficit touche également la sensibilisation ainsi que la formation dans le domaine de l'hygiène et la sécurité au travail. Abondant dans le même sens, le Pr Teboune répond à une question sur les instruments d'application de la réglementation, un point qu'il qualifie de « névralgique », que le gros problème qui se pose, depuis l'instauration de la médecine du travail en Algérie, réside dans le fait que les instances chargées de la régulation sont dépassées, notamment après la décennie noire, avec un boum économique caractérisé par le développement de l'activité économique.

LA DERNIERE ROUE DU CARROSSE

Ce phénomène, précise le chef de service, n'est pas propre à l'Algérie et même en Europe, il est difficile de contrôler l'important nombre de petites et moyennes entreprises. En guise de solution et eu égard au nombre impressionnant de médecins du travail qu'a formé le service en question et qui exercent dans toute la région Ouest, il est aisé de dire que ce ne sont pas les moyens humains qui font défaut et que la formation a été à la hauteur. En revanche, tout ce capital humain installé dans des polycliniques souffre de manque de moyens matériels, car la médecine du travail est une spécialité à part entière et par conséquent elle nécessite des équipements adéquats permettant une série d'investigations. « A titre d'exemple, pour les analyses en toxicologie, c'est le désert, et la relance est trop lente pour combler le déficit, sachant que la médecine du travail a cette particularité d'être préventive, prédictive et non traumatique, et que la mission est d'abord fonctionnelle », a souligné Pr Teboune. Ceci dit, la médecine du travail est une spécialité soft et qui nécessite des moyens technologiques, même si elle a bénéficié de certains équipements par le biais des travaux de recherches ou encore quelques apports hospitaliers, a expliqué notre interlocuteur. L'autre point soulevé est celui de la tutelle, car le dilemme demeure entier : on s'interroge si « nous sommes beaucoup plus dépendants du ministère du travail ou de la santé ou encore de l'enseignement supérieur ». Dans le passé, ce segment de la santé publique dépendait du défunt ONIMET, un organisme qui avait l'avantage de disposer de moyens matériels, mais qui manquait de capacités humaines, a aussi rappelé le professeur. Dans le même ordre d'idées, il déclare : « en étant avec le ministère de la santé, nous sommes la dernière roue de la carrosse du fait que la priorité pour ce secteur demeure les maladies infectieuses et souvent, il n'y a priorité que lorsqu'il y a des épidémies, comme cela a été le cas récemment avec la grippe ». Or, quand il s'agit de la prévention qui nécessite un management approprié, il faut aussi des moyens conséquents, car la prévention ne s'arrête pas au seul fait de recommander de se laver les mains, a également expliqué notre vis-à-vis. A cela s'ajoute la faible adhésion à cette démarche préventive de la part même des principaux concernés, à savoir les travailleurs, et que par conséquent, le message est difficilement véhiculé. Ceci étant, il est impératif de donner une place à la prévention, même si force est de reconnaître que même les gestionnaires n'y croient pas tellement du fait que les résultats ne sont pas immédiats, mais qui peuvent être perceptibles ultérieurement, et d'après des études menées dans ce domaine, surtout sur le coût, il est aisé de dire que ces gestionnaires ont tout à gagner. Pour le moment, souligne Pr Teboune, la médecine du travail est présente dans plusieurs secteurs du travail, allant de grosses entreprises aux PME, en passant par la Protection civile ou le personnel communal, outre le fait que la demande s'est manifestée pour prendre en charge le personnel marin ou enseignant. « La prévention ne s'effectue pas dans l'urgence étant donné qu'elle constitue un processus lent et qui nécessite un suivi », a également soutenu le spécialiste. Le taux de couverture diffère d'une entreprise à une autre et cela relève de l'importance donnée à cette démarche préventive. Le manque de données en matière de demande qui peut être estimée à 200 entreprises ainsi que l'asphyxie que connaît le service de médecine du travail du CHU, sont deux autres éléments qui pèsent lourdement sur l'impact recherché, d'autant que ce service est à la fois celui du CHUO, avec une autre mission d'interentreprises en plus de celle de l'expertise. D'où la nécessité de refondre ce secteur, déduit notre interlocuteur. En matière de coût, le Pr Teboune illustre par un comparatif en estimant les examens d'investigation de prévention à quelques milliers de dinars, alors que la prise en charge d'un cas affecté par une maladie professionnelle lourde à pas moins de 150, voire 200 millions de Cts. Le même spécialiste abordera la question de l'amiante en rappelant que les médecins du travail ont tiré la sonnette d'alarme depuis plusieurs décennies sur les risques de cette matière, mais cela n'a pas été pris au sérieux et il a fallu quelques cas graves pour qu'on planche sur une législation annonçant une gestion contrôlée de l'amiante, qui est en soi, selon Pr Teboune, une aberration en considérant que l'amiante ne peut nullement être géré ou contrôlé du fait que l'amiante n'a jamais été éradiqué. Enfin, et contrairement à ce qui est avancé, le Pr Teboune considère que la médecine du travail est attractive et plusieurs étudiants optent pour cette spécialité, du fait de sa dimension pluridisciplinaire, et certains d'entre eux ont même ouverts des cabinets, notamment au Sud du pays.