La Russie réunit,
dès demain lundi, des émissaires du régime syrien et des représentants de
l'opposition pour des pourparlers qui n'ont que peu de chances de mettre fin à
presque quatre ans d'une guerre dont les cartes ont été rebattues par
l'irruption de l'organisation Etat islamique. Durant trois jours, des membres
de l'opposition tolérée par Damas, notamment des représentants du Comité de
coordination nationale pour les forces du changement démocratique (CCND), et
des responsables du régime du président Bachar al-Assad, doivent discuter à
huis clos, sous le patronage de la diplomatie russe et d'experts et
spécialistes russes du Proche-Orient. Mais toute l'opposition n'est pas
représentée puisque la Coalition nationale de l'opposition en exil ne sera pas
présente et estime que ces discussions devraient avoir lieu en pays «neutre» et
pas en Russie, soutien indéfectible de Damas. Cinq de ses membres participeront
toutefois à titre individuel. Parmi eux, Ahmad Jarba, ancien président du
groupe et réputé proche de l'Arabie saoudite. Selon le chef de la diplomatie
russe, il n'y a pas d'ordre du jour et pas de signature de document ou d'accord
prévu. Mais la réunion doit permettre de relancer le dialogue entre Syriens et
aider le médiateur de l'ONU pour le conflit syrien, Staffan de Mistura, dont le
plan prévoit l'instauration de zones de cessez-le-feu pour permettre la
distribution de l'aide humanitaire en Syrie. Mi-janvier, Bachar al-Assad avait
affirmé que la lutte contre le «terrorisme» devait rester la priorité de la
réunion à Moscou. Et selon une source gouvernementale syrienne, interrogée la
semaine dernière par l'AFP, la délégation de Damas espère que les participants
se mettront d'accord sur une feuille de route comprenant: la «lutte contre le
terrorisme», des «réconciliations au niveau local» et des discussions sur un
«gouvernement d'union nationale». «Il faut commencer modestement, brique par
brique, et non pas se mettre d'accord sur un plan d'ensemble car c'est à ce
stade impossible», a affirmé cette source à l'AFP. Pour leur part, l'opposition
en exil comme celle de l'intérieur veulent discuter d'un gouvernement
transitoire en vue de trouver une issue à la guerre qui a fait plus de 200.000
morts. L'initiative de Moscou, allié traditionnel de Damas, intervient après
les pourparlers de paix de Genève I, en juin 2012, et Genève II, en février
2014, sous l'égide de l'ONU et des grandes puissances.
Mais la situation
sur le terrain et l'émergence des radicaux de l'organisation Etat islamique
(Daech), qui contrôle la moitié du territoire syrien, ont modifié la donne. Et
les Occidentaux, Américains en tête, qui réclamaient avant toute chose le
départ du président Assad, semblent revoir leur stratégie. Désormais, pour
Washington comme pour Paris ou Londres, la priorité est la lutte contre
l'organisation Etat islamique. En accueillant opposants et émissaires de Damas,
Moscou a «un but évident», selon l'analyste Alexeï Malachenko de l'institut
Carnegie: «légitimer Assad». «Si des accords sont trouvés à ces pourparlers,
cela renforcera la légitimité de Bachar al-Assad comme président», confirme
Boris Dolgov, un chercheur spécialiste du monde arabe à l'Institut des études
orientales à Moscou. «Les Etats-Unis redécouvrent le vieil adage: l'ennemi de
mon ennemi est mon ami», estime Vladimir Issaïev de l'Université de Moscou. Le
ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s'est ainsi félicité de
ce que le président Barack Obama, dans son discours sur l'état de l'Union, cite
l'Etat islamique, non Bachar al-Assad, parmi les menaces les plus sérieuses
pour le monde. Pour sa part, Washington soutient «tout effort» qui pourrait
permettre d'obtenir «une solution durable au conflit». «Nous avons été en
contact avec l'opposition. Nous avons convenu que nous soutenions l'idée qu'ils
participent à ces rencontres, mais c'est à eux de choisir», a indiqué, jeudi,
la porte-parole du Département d'Etat, Jen Psaki. Le directeur de l'Institut
des études orientales, Vitaly Naoumkine, qui sera le médiateur des discussions,
dit avoir envoyé une trentaine d'invitations. «Il y a un principe strict: les
pourparlers se déroulent sans pré-conditions». Mais «sans la Coalition
nationale, ces pourparlers n'ont pas beaucoup de sens», résume Alexeï
Malachenko.