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Subsahariens, Syriens et autochtones : Mendicité, une compétition féroce

par T. Lakhal

Une scène des plus insolite, vécue par de centaines de fidèles à la sortie de la prière du vendredi dernier dans une grande mosquée de la ville d'Oran. Un nécessiteux, habitué des lieux, piquera l'une de ses rares crises de nerfs qui le mettra dans tous ses états, insultant tout le monde et en criant à qui veut l'entendre son désarroi de n'avoir glané aucun dinar, alors que la Syrienne postée juste en face a été «gavée» d'argent. Tout en vociférant dans l'hystérie: «Vous n'êtes pas de véritables musulmans, vous êtes des hypocrites, comment depuis la matinée que je suis fixé ici vous n'avez pas eu de compassion pour un nécessiteux comme moi, alors que cette dame d'importation (c'est son mot qui a fait rire les fidèles), tout en la fixant sévèrement des yeux, a eu tous vos égards ». Les témoins mi-amusés, mi-étonnés, mais compréhensifs tout de même et, tout en le taquinant, mettront en fin de compte les mains à la poche pour ne pas laisser notre bonhomme revenir bredouille.

Et c'est vrai. Depuis la venue des Syriens et des Subsahariens, une compétition féroce a lieu dans les abords des mosquées, avec un léger avantage pour les Syriens qui savent parler aux cœurs, contrairement aux Subsahariens qui ont tout à apprendre des ficelles du métier et de la langue.

Cette scène des plus insolite renseigne au mieux d'un phénomène, alors que, jadis marginal, est devenu monnaie courante, suscitant la concurrence. Ce phénomène renvoie à tout un chacun l'image d'un pays aux mille contradictions. Richesse ostentatoire d'un côté et dénuement extrême de l'autre côté que la société ne veut pas voir. Mais cela est-il à considérer comme un véritable baromètre de la précarité dont souffrent les uns ou simplement un créneau porteur pour les autres qui l'ont investi ?

La mendicité est un métier, tout simplement, pour parer à l'urgent, même si ce n'est pas encore un délit, elle risque de l'être tant le nombre sans cesse croissant jusqu'à la banalisation peut renvoyer aux pouvoirs publics les signes patents de ses carences. Aux alentours des cimetières, dans les stations de transport public, dans les cafés, aux ronds-points comme le font les Subsahariens avec leur ribambelle d'enfants, le constat est le même. Une famille syrienne installée depuis peu à Oran déclarera que la mendicité lui rapporte chaque jour pas moins de 4.000 dinars. Et que n'a-t-on pas lu ou entendu qu'un magot compté en milliards de centimes amassé par un nécessiteux fut découvert après son décès. La mendicité est un marqueur important sur les capacités de prise en charge d'une société de ses marginaux. Les Subsahariens, les Syriens et les étrangers en général, en tant que migrants, sans oublier les autochtones, se doivent d'être insérés par le travail et la scolarité des enfants. Et on le voit avec les Subsahariens qui commencent à insérer le monde du travail, même informel, ainsi que les Syriens qui, grâce à leurs savoir-faire, se sont taillés une place dans la société, notamment dans la restauration, la pâtisserie et la confection. Quant à la mendicité, ultime solution pour les précaires, elle demeurera une voie de salut et, pour les autres, un métier comme tous les autres.