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De l'huile et des grains de cannabis aux frontières ouest : La reconversion des trafiquants de drogue

par Moncef Wafi

De nouvelles gammes de produits liés au trafic de drogue sont interceptées par les gardes-frontières depuis le début de cette année.

En sus des traditionnelles plaquettes de kif traité, les brigades du 1er Groupement de gardes-frontières (GGF) de Maghnia ont saisi dernièrement 1/3 de litre d'huile de cannabis ainsi qu'une quantité de graines de cannabis lors d'opérations distinctes en 2014. Un début de reconversion des narcotrafiquants qui peut s'expliquer, selon certaines lectures, par le renforcement des mesures de sécurité tout au long du tracé frontalier ouest avec le Maroc. Ce redéploiement des services de sécurité a permis depuis le début de l'année en cours la saisie de plus de 50 tonnes de kif traité dans l'ouest du pays, selon le bilan de la Gendarmerie nationale, un chiffre qui représente 60% du total des saisies effectuées par tous les services de sécurité confondus, depuis le début de 2014 à travers l'ensemble du territoire national.

Le fait d'enregistrer des tentatives d'introduction des grains de cannabis, 1,9 kg de grains de chanvre indien ont été saisis à Oran lors des six derniers mois, renseigne sur les intentions des narcotrafiquants et de leurs commanditaires qui cherchent à encourager la culture du kif sur le territoire national, même si les services de sécurité saisissent régulièrement des champs de kif particulièrement dans les wilayas du Sud algérien. L'autre constat fait par la Gendarmerie nationale est le recours de plus en plus fréquent aux voies maritimes pour contourner le renforcement de la présence sécuritaire sur les circuits habituels des narcotrafiquants. Les rivages des plages des wilayas de Aïn Témouchent et à un degré moindre celle de Mostaganem sont les récipiendaires de colis chargés de kif et rejetés par la mer. Ces colis qui pèsent entre 20 et 30 kg montrent que la drogue a de plus en plus de mal à entrer par des frontières terrestres sous la couverture d'un maillage sécuritaire ces dernières années.

Outre le renforcement des postes de surveillance et des unités de contrôle ainsi qu'une répartition plus rationnelle des brigades en patrouille véhiculées et pédestres, dans le dessein avoué d'occuper efficacement l'espace frontalier, des tranchées et des obstacles, érigés le long de la bande frontalière ouest, ont vu dernièrement le jour. Ces mesures prises ont pour premiers objectifs d'arrêter l'hémorragie enregistrée de l'économie régionale et nationale causée par une contrebande organisée et maffieuse. Ainsi, le trafic de carburant, plus particulièrement le mazout, a atteint un tel degré qu'il a convoqué la prise de décisions cruciales pour le stopper. Des convois entiers traversaient la frontière chargés de jerrycans de carburant et de produits alimentaires subventionnés pour approvisionner les marchés marocains.

Dans cette lutte à distance entre les services de sécurité et les contrebandiers, on n'hésite pas à innover du côté des trafiquants pour déjouer la vigilance sécuritaire. Le phénomène des baudets a ainsi fait son apparition le long de la bande frontalière et plus de 800 ânes utilisés dans le trafic du mazout ont été interceptés selon le bilan du 19ème Groupement des gardes-frontières de Bab El Assa à Tlemcen. Plus d'un demi-million de litres de carburant ont également été repris durant les sept mois de l'année en cours contre 320.000 litres l'année dernière. Le même bilan fait état de la saisie de 82 véhicules utilisés dans la contrebande alors que 43 trafiquants ont été arrêtés et déférés devant la justice. Si la topographie des cartels en Algérie est connue, avec pour points de passage les frontières terrestres ouest avec le Maroc, les saisies les plus fréquentes sont opérées sur les axes routiers de la wilaya de Tlemcen.

Selon des statistiques sécuritaires, 75% des quantités de drogues saisies proviennent des régions sud-ouest et ouest du pays, expliquant que la culture du kif au Maroc arrive à sa production les mois de mai et de juin. Le Vieux Continent reste quant à lui alimenté directement à partir du Royaume chérifien ou à travers des ports algériens. Cette recrudescence des saisies s'explique par l'intensification des contrôles de sécurité, de la demande en augmentation et de l'ouverture de l'autoroute Est-Ouest qui a servi de rampe de lancement à un véritable bombardement de l'Algérie. Nombre d'officiels algériens ont évoqué cette « nouvelle guerre », en affirmant, à propos de l'ampleur prise par le trafic de drogue, que l'Algérie « est presque visée » par le Maroc. Tayeb Belaïz, le ministre de l'Intérieur, a affirmé, quant à lui, que l'Algérie est en guerre contre le trafic de drogue le comparant à une nouvelle forme de terrorisme.

Le Rapport annuel de l'Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) pour 2012 est on ne peut plus clair puisqu'il énonce que la production illicite de résine de cannabis est concentrée dans certains pays d'Afrique du Nord. Il cite le Maroc comme principal pays fournisseur de la résine de cannabis dont il est fait abus en Europe, région qui constitue le premier marché illicite mondial de cette substance. Le rapport de l'OICS, citant l'Organisation mondiale des douanes, affirme que quelque 72% de la quantité totale saisie par les autorités douanières dans le monde en 2011 provenaient du Maroc. Outre l'Europe, principale destination du kif marocain, d'autres pays d'Afrique du Nord ont déclaré avoir saisi de grandes quantités de résine de cannabis.