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L'arme de «l'intelligence»

par K. Selim

L'appel, très contesté, d'une partie du nouveau Parlement réuni à Tobrouk pour une intervention étrangère en Libye ne suscite pas de vocation. Les pays occidentaux qui ont saisi une «opportunité» en 2011 pour bousculer les choses en Libye en transformant une résolution onusienne sur la protection des populations de Benghazi en action offensive de changement de régime regardent ailleurs. Aucun de ces Etats, qui n'étaient pas animés de pure intention humanitaire, ne veut s'impliquer dans le chaos libyen.

Les agences de presse occidentales, comme s'il s'agissait de confirmer une lecture préétablie, parlent avec insistance de guerre entre «libéraux» et «islamistes». En somme, dans leur lexique sommaire, cela désigne les «bons» et les «méchants». Mais les plus avertis en Occident, ou les plus honnêtes, savent que ce clivage est faux - ou à tout le moins secondaire - dans un pays éclaté en milices qui se disputent le pouvoir. Il ne s'agit pas d'idéologie mais de pouvoir. La guerre entre les milices de Zentan et de Misrata n'est pas idéologique - en grattant on découvre qu'ils ont le même lexique révolutionnaire saupoudré de religion - mais politique. Qu'il y ait des djihadistes en Libye, cela n'est pas contestable, mais cela ne recouvre pas toute la réalité d'un pays où l'Etat de Kadhafi a été détruit et n'a pas été remplacé.

La société libyenne ne disposait pas, après des décennies de dictature de Kadhafi, d'une élite à même d'imposer une vision nationale. Il y a eu une régression généralisée vers le plus petit, celle de la tribu, la région. Chacun tentant de s'imposer aux autres et d'exercer un leadership. Par les armes. Les «amis» occidentaux ont probablement estimé, du moins au début, que cette implosion du pays en trois ou plusieurs régions n'était pas une mauvaise option. Ils découvrent qu'ils ont fait une «révolution» artificielle sans assurer le SAV, le service après-vente. De manière discrète, certains en Occident se demandent si la décision d'intervenir en Libye n'était pas, comme tout le démontre, un choix désastreux.

Aujourd'hui, il n'est pas question d'intervenir en Libye, on suggère avec une insistance qui se transforme en pression aux «pays de la région» qui en ont les moyens de faire le «boulot». Avec un argumentaire qui a été relayé, avec un certain simplisme chez nous, que si on ne va pas «traiter» le problème en Libye, ce problème viendra chez nous. Pour certains, cela peut être l'occasion de s'arrimer à l'Empire en se faisant le poste avancé de la lutte contre le djihadisme et l'islamisme. Abdelmalek Sellal, qui a encore rejeté toute intervention de l'armée algérienne en Libye, a parlé de «piège». C'est le cas de le dire même si on entend un discours faussement flatteur qu'une intervention dans ce pays ne serait que l'expression d'un statut de «puissance régionale» voire de «leader».

Ces appels «réalistes» qui veulent que l'Algérie ne soit pas emprisonnée dans une vision doctrinale ne disent pas ce que signifie concrètement une intervention directe. Si ceux qui ont provoqué le chaos ne veulent pas intervenir, c'est que cela a un coût exorbitant. En vies humaines et en argent. L'Egypte de Nasser s'est usée dans une intervention au Yémen - qui a suscité des répliques de la part des monarchies et des Occidentaux -, il n'est pas inutile de le rappeler. Et la situation est encore plus compliquée aujourd'hui en Libye où les armes sont disponibles et où les multiples forces miliciennes n'acceptent un Etat que si elles le contrôlent. Envoyer des troupes dans cette situation ne ferait qu'aggraver les choses.

L'Algérie ne peut se permettre de se désintéresser de ce qui se passe en Libye, c'est un fait. Il y a un travail «d'intelligence», pour reprendre le terme anglo-saxon, à faire. Une action politique à tenter pour essayer de parvenir à un arrangement entre des protagonistes libyens. Pour ce type d'action, il n'est pas besoin d'autorisation, ni d'amendement de la doctrine. Ce qui compte ce sont les ressources dont on dispose et la capacité à parler avec des Libyens qui, pris dans la folle bataille du pouvoir, ne se rendent pas compte qu'ils seront tous perdants. Il y a quelque chose à faire entre Zentan et Misrata et ce n'est pas l'envoi de soldats.