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Les insuffisances des entreprises de l’éducation

par John S. Katzman *

NEW YORK – Le capitalisme a produit de nombreux produits et services de grande qualité, des téléphones intelligents aux transports à grande vitesse, en passant par des divertissements fascinants. Pourtant, la motivation du gain, essentielle dans tant de domaines, semble avoir failli dans un secteur fondamental : celui de l’éducation.

Aux Etats-Unis, les universités à but lucratif ont un taux de 22 pour cent d’obtention de diplômes sur une période de six ans, contre un taux de 60 pour cent pour les institutions à but non lucratif. Les premières dépensent 23 pour cent de leurs revenus pour attirer de nouveaux étudiants, comparé à 1 pour cent seulement pour les secondes. Aux niveaux primaire et secondaire, les écoles sous contrat (des établissements indépendants financés par des fonds publics) gérées par des sociétés à but lucratif ont 20 pour cent de chances de moins de répondre au niveau de connaissances exigé que les écoles à but non lucratif, avec les pires résultats enregistrés par certaines des principales institutions à but lucratif. Mêmes les entreprises qui fournissent les manuels scolaires, les logiciels éducatifs, les systèmes de gestion et les prêts étudiants n’atteignent pas le niveau d’excellence présenté par d’autres secteurs.

L’éducation à but lucratif n’est pas un phénomène uniquement américain ; elle s’inscrit dans une tendance mondiale. De nouvelles universités à but lucratif voient le jour là où la demande pour un enseignement supérieur est forte. Dans les pays en développement d’Asie et d’Amérique latine, de nouvelles écoles et des programmes en ligne d’initiation à l’anglais tentent de répondre à la demande, même s’il est un peu tôt pour juger de leur qualité.

En tant que fondateur de plusieurs sociétés à but lucratif dans le secteur de l’éducation et conseiller de plusieurs autres entreprises de ce secteur, j’ai observé des gestionnaires et des investisseurs (dont les miens) succomber à la tentation de faire passer les objectifs financiers avant les objectifs éducatifs, et cela sans surprise – les résultats d’une éducation se mesurent après plusieurs années, tandis que les bénéfices et les primes des cadres supérieurs sont calculés chaque année.

Je voudrais croire qu’une bonne performance financière et l’excellence en matière d’éducation ne s’excluent pas mutuellement. Les institutions à but lucratif sont après tout en mesure d’embaucher un personnel enseignant très qualifié, de réagir rapidement à l’évolution des conditions et de lever les capitaux nécessaires à leur expansion. American Public University System et Renaissance Learning ont par exemple prouvé qu’il était possible de s’enrichir en faisant du bon travail. L’une de mes sociétés a également rassemblé les capitaux, la technologie et les personnes permettant à des étudiants du monde entier d’accéder en ligne aux principaux programmes d’études supérieurs des Etats-Unis. Malheureusement, de tels projets constituent l’exception. Le secteur de l’éducation doit trouver un meilleur équilibre entre la qualité de l’enseignement et le rendement financier. Quatorze États américains ont entamé ce processus en autorisant la création de benefit corporations (ou B Corps) – une forme d’entreprise conçue pour les entités à but lucratif qui s’engagent à prendre d’autres intérêts en compte que ceux de leurs actionnaires dans leur processus de décision. Mais si les B Corps sont censées agir dans l’intérêt public, elles ne peuvent pas être y être obligées ; si elles veulent voir au-delà des performances financières, elles le font volontairement.

Une solution pourrait être de créer une variante des B Corps – appelons les E Corps – qui pourraient transformer le secteur de l’éducation à but lucratif. Une société de ce secteur pourrait n’avoir le statut de E Corp que si elle devenait transparente au sujet de ses valeurs et résultats. Une université appartenant à une E Corp pourrait par exemple être tenue de donner à ses futurs étudiants des informations sur le taux d’obtention de diplômes, le niveau moyen d’endettement des étudiants et le niveau moyen des salaires à l’embauche des étudiants ayant des résultats scolaires et des buts éducatifs similaires.

Les établissements E Corp pourraient être également obligés de communiquer les frais d’enseignement et de commercialisation et le coût de la rémunération des cadres, par étudiant, ainsi que leurs bénéfices avant impôt. Les critiques de cette approche pourraient dire que les revenus d’une société n’ont guère d’intérêt, tant qu’elles offrent un service utile. C’est peut-être le cas, mais pourquoi ne pas communiquer les données et voir combien d’étudiants s’inscrivent dans une école lorsqu’ils évaluent pleinement leurs chances de succès et la manière dont leur argent est utilisé ? Les E Corps doivent également analyser et publier leurs résultats (y compris les résultats décevants), ce qui inciterait les institutions à améliorer leurs services. L’éducation ne peut pas toujours être gratuite, mais les informations la concernant doivent l’être.

Plusieurs sociétés pourraient adopter de telles réformes simplement pour mieux servir les étudiants. Mais nous ne devons pas sous-estimer l’effet de levier du financement public. A mesure que s’accroît la confiance dans les indicateurs des E Corps, le statut de E Corp pourrait être une condition pour participer aux programmes gouvernementaux. Aux Etats-Unis, cela comprend un accès à un financement très recherché, sous forme notamment de la subvention Title I pour l’éducation primaire et secondaire, et de la subvention Title IV des prêts étudiants pour l’enseignement supérieur. Après tout, pourquoi les sociétés devraient-elles bénéficier de l’argent des contribuables si elles ne sont pas prêtes à mettre la transparence, la responsabilité et l’excellence éducative sur le même plan au moins que leurs objectifs de retour sur investissement ?

Même les entreprises les plus soucieuses de leur mission peuvent être tentées de sacrifier la qualité de l’enseignement à un rendement démesuré. Une qualification E Corp garantirait que les responsables en matière d’éducation continuent à s’assurer des résultats financiers tout en visant l’excellence de l’enseignement.

Traduit de l’anglais par Julia Gallin

* Le fondateur et PDG de Noodle, un site web qui offre des conseils en matière d’éducation. Il a également fondé The Princeton Review et 2U.