Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Des créations d’emplois sous grosse perfusion budgétaire

par Yazid Taleb

Les bilans en termes de création d’emplois rendus publics par le ministère du Travail donnent le tournis. Selon ces chiffres, l’économie algérienne hors secteur agricole a créé 675000 emplois en 2013 ! Décryptage d’une intense production statistique dans un contexte électoral.

Le ministère du travail se félicite du «regain de dynamisme» enregistré par le secteur de l’emploi durant l’année 2013. Ce regain est caractérisé par «un accroissement de l’offre d’emplois émanant du secteur économique public et privé» ainsi qu’une «augmentation appréciable des placements opérés par l’ANEM auprès des entreprises dans le cadre de son activité d’intermédiation classique», commente le ministère. En deux ans ce sont près de 1 200 000 emplois qui se sont ajoutés à la population occupée. A fin septembre 2013, la population occupée avait déjà progressé de 6,1% par rapport à 2012 et de 12,4% par rapport à 2011. On relèvera tout d’abord, pour camper le décor général dans lequel se déroule cette intense production statistique, que ces «performances» sont à rapprocher de la progression du PIB, qui s’est située entre 2 et 3% au cours des deux dernières années. L’économie algérienne a donc réussi la «prouesse», probablement unique au monde, de produire 5 à 6% de plus avec une population active en progression de plus de 12%....

FONCTION PUBLIQUE ET ANSEJ-CNAC A LA RESCOUSSE

En entrant dans le détail des créations de postes de travail annoncées en 2013, et pour y voir un peu plus clair, on peut distinguer tout d’abord les 52.000 emplois créés classiquement dans la fonction publique, qui maintiennent en gros le rythme de recrutement effectué par l’administration au cours des dernières années. On doit mentionner également un gros contingent de près de 140 000 emplois qui ont été générés durant l’exercice 2013 par les 65 000 entreprises financées par l’ANSEJ et la CNAC, ce qui confirme la montée en puissance de ces deux dispositifs depuis les décisions de les dynamiser, prises en février 2011, dans le sillage des événements dits du «Printemps arabe».On peut ajouter à ces premiers chiffres les 30.000 emplois créés l’année dernière, hors-ANEM.

DES «EMPLOIS D’ATTENTE» AUX «EMPLOIS AIDES»

Reste environ 450.000 emplois dépendants, à des degrés divers, des dispositifs de l’ANEM et dont la nature reste fortement sujette à controverse. Sur ce total, le ministère du travail distingue 260.000 recrutements effectués dans le cadre du dispositif classique de l’ANEM et environ 140.000 postes créés dans le cadre du Dispositif d’aide à l’insertion professionnelle (DAIP). Chiffres auxquels s’ajoutent près de 50.000 postes créés par le biais des contrats de travail aidés (CTA). Le ministère prend la précaution de souligner à propos des emplois du DAIP«la poursuite de l’affirmation de l’approche économique imprimée au dispositif en 2013 avec une part avoisinant 82% des insertions contre 70% en 2012. Près de 36% des placements ayant été opérés dans le secteur du BTPH, contre 30% pour le secteur industriel, dont 20% pour le secteur industriel privé». Il ne dissipe pas cependant les doutes que suscite cette énorme quantité d’ «emplois aidés» voire d’ «emplois d’attente».

DES EMPOIS PRECAIRES ET SOUS REMUNERES

Le ministère du travail ne donne aucune indication sur la nature de l’employeur des 260.000 emplois créés dans le cadre du dispositif classique de l’Anem. Une «discrétion» qui doit s’expliquer par le fait qu’il s’agit surtout d’emplois d’attente à temps partiel et à durée déterminée. Ce sont des emplois créés dans les administrations locales et centrales, moyennant des rémunérations symboliques dont la plupart se situant entre 8.000 et 15.000 dinars, en dessous du SMIG. Les 200.000 emplois créés dans le cadre du DAIP et des contrats de travail aidés, bien que majoritairement orientés vers le secteur économique, suscitent également de vives critiques en raison d’une part de leur caractère précaire, avec des contrats de travail variant entre 6 mois et 2 ans. Leur financement est d’autre part également sur la sellette du fait que la quasi-totalité des entreprises qui ont recours à ces «emplois aidés»ne respectent pas la réglementation et se contentent de verser à leurs nouvelles recrues les montants pris en charge par l’Etat. Diverses sources indiquent que cette pratique est également courante au sein des entreprises publiques également.

BIENTOT LE «PREMIER EMPLOI JEUNE».

C’est probablement pour contrer la dérive de ces dispositifs que M. Benmeradi a annoncé la semaine dernière, à grand renfort de publicité, la présentation prochaine au gouvernement d’un projet de loi créant les «premiers emplois jeunes» destinés à se substituer progressivement aux emplois aidés du DAIP actuel. Ils s’en distingueront par une durée portée à 3 ans maximum, une meilleure couverture sociale. Et surtout par le fait que l’Etat prendra cette fois en charge la totalité de la rémunération du poste de travail à travers d’une part le versement d’une aide directe et d’autre part un crédit d’impôt pour le complément de la rémunération.
Avec cette nouvelle innovation «sociale», il faudra noter que les rémunérations de la quasi-totalité des 450.000 emplois créés dans le cadre de l’Anem, seront prises en charge par l’Etat, illustrant ainsi la dépendance croissante de la création d’emplois en Algérie, à l’égard des ressources du budget de l’Etat.

140.000 emplois à pourvoir d’ici la mi-mars !

Le chiffre a été donné par M. Tayeb Bouyacoub, directeur à la fonction publique: les entreprises publiques et la fonction publique ont été instruites pour embaucher 140.000 personnes avant la mi-mars. Une circulaire avec «effet immédiat» de M. Abdelmalek Sellal a été adressée aux entreprises publiques et à la fonction publique. M. Bouyacoub jure que cela n’a rien à voir avec la conjoncture politique mais admet le caractère «exceptionnel» de ces recrutements. La circulaire de Sellal prévoit un allègement des procédures pour pourvoir les postes «libres» au sein de la fonction publique et des entreprises, principalement ceux libérés par la mise en œuvre de la retraite obligatoire de fonctionnaires et employés ayant atteint soixante ans. La fonction est désormais contrainte à une célérité inhabituelle dans l’organisation des concours internes et l’étude des dossiers.