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Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique : «Nous demandons la suppression de l'activité complémentaire»

par Ghania Oukazi

Le Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique (SNPSSP) appelle à l'abrogation de la disposition réglementaire autorisant l'exercice par les spécialistes du secteur public d'une activité complémentaire dans les cliniques privées.

 « Le constat est très grave, on l'a transmis à tous les ministres de la Santé», fait savoir le président du SNPSSP au sujet de la situation qui prévaut au niveau des établissements publics de santé dont le personnel exerce «en toute illégalité» des activités complémentaires dans les cliniques privées. Le Dr Mohamed Yousfi précise en premier que «les deux corps de santé publique concernés officiellement et réglementairement par l'exercice de cette activité une fois par semaine et dans une seule clinique sont les spécialistes et les hospitalo-universitaires. Les activités autorisées sont celles chirurgicales et médicochirurgicales». Mais dans la réalité, affirme-t-il, «tout le monde travaille dans le privé, plantons, personnels paramédicaux, résidents, chefs de service, et dans plusieurs cliniques et plusieurs wilayas en même temps». Il avance un chiffre effarant et soutient que «90% des personnels de santé publique travaillent au noir dans les cliniques privées». Le Dr Yousfi précise ainsi qu'«aucune réglementation n'est respectée par personne, même pas par l'infime minorité qui est autorisée par la loi et qui exerce l'activité complémentaire et perçoit en même temps la prime de renonciation à cette même activité». Et ce sont tous les établissements publics de santé qui en pâtissent. Il en veut pour preuve «les terribles conséquences des absences répétitives de leurs personnels, non déclarées et illégales sur le secteur public, les hôpitaux vivent des dysfonctionnements profonds et des dérives totales, c'est la débandade». Le plus pénalisé est en évidence le malade, «le simple citoyen qui se trouve saigné», dit le Dr Yousfi. Pourtant, fait-il remarquer, «pour que le malade soit bien pris en charge, tous les services de santé publique ont aujourd'hui les moyens d'être performants si leurs responsables le veulent bien». Il note que «le secteur privé de santé doit être complémentaire mais, chez nous, ce sont des cliniques privées de commerce, c'est la jungle». Le président du SNPSSP a ses raisons pour parler de «jungle». Il va droit au but en soulignant qu'«il y a de gros intérêts en jeu, les cliniques privées travaillent sans déclaration de leurs personnels, elles ne sont pas inspectées, il y a des milliards qui sont gagnés ainsi».

«IL Y A DE GRANDES COMPLICITES»

Le Dr Yousfi précise que «je n'ai rien contre les cliniques privées mais je n'invente rien du tout, tout peut être constaté sur le terrain, tout le monde le sait, le ministère, les inspections, les responsables des corps médicaux, il y a de grandes complicités, tout le monde ferme les yeux». Il fait même savoir que «certains spécialistes opèrent des malades au niveau de leur service, c'est-à-dire dans un hôpital public mais les font payer comme s'ils étaient opérés dans des cliniques privées».

Les choses sont ainsi inversées. «L'activité complémentaire se fait parfois du privé vers le public, pour des raisons de commodités au niveau des hôpitaux». Une situation qui pourrait faire sourire si ses conséquences n'étaient pas aussi dramatiques. «Il y a des circuits pour convaincre le malade pour lui faire subir ce que veulent les chirurgiens, ce sont donc des équipes complètes du public qui sont complices et qui font du chantage au malade pour le prendre en charge dans leur service moyennant des montants considérables pour les cliniques privées», soutient le Dr Yousfi. Situation kafkaïenne sur laquelle pense notre interlocuteur «personne ne peut et ne doit se taire». Si l'une des raisons qui ont justifié l'instauration de l'exercice de l'activité complémentaire dans le privé a été la faiblesse des revenus des chefs de service et spécialistes, aujourd'hui, affirme le Dr Yousfi «ce n'est plus un argument, nous l'avons même dit en 1997 à Yahia Guidoum (alors ministre de la Santé, ndlr) lorsque la loi était en gestation, parce que nous pensions que ce qui restait du système de santé publique allait disparaître. Aujourd'hui, le temps nous a donné raison». Il rappelle à cet effet que «le seul ministre qui a accepté de faire une première évaluation de l'activité complémentaire, c'est Amar Tou, le 31 juillet 2007, au CHU d'Oran, on avait dit à cette époque qu'il faut la geler dans un premier temps, jusqu'à ce qu'il y ait les conditions requises à son exercice». Il reconnaît qu'«aucune autre évaluation n'en a été faite depuis 15 ans». Il fait remarquer au passage que «si cette activité est accordée à des chefs de service dans des pays occidentaux, c'est parce qu'elle est considérée comme un plus pour encourager certaines compétences à rester dans le secteur public».

«IL N'Y A PAS DE VOLONTE POLITIQUE»

Le responsable syndical relève que «les choses ont changé aujourd'hui chez nous, il y a la sécurité, le statut a été adopté, l'aisance financière existe, on est loin de la situation exceptionnelle de 1998, année où la loi a été adoptée, c'est aujourd'hui une situation normalisée». Il pense qu'«avec l'amélioration des conditions de travail de la profession, il serait nécessaire de demander aux corps autorisés à exercer l'activité complémentaire de faire le choix entre le public et le privé». Mais, regrette-il, «le contrôle de l'administration n'existe toujours pas et le conseil de l'ordre est à ses balbutiements, il a vécu de multiples turbulences internes jusqu'en 2006, il y a à peine 4 ou 5 ans qu'il s'en est quelque peu rétabli, en plus, il n'a pas encore récupéré toutes ses prérogatives».

Au regard de cette «débandade» qui sévit dans les hôpitaux publics et les cliniques privées, le SNPSSP demande la suppression de l'activité complémentaire. Suppression que justifie le Dr Yousfi par l'absence des deux impératives conditions à son exercice d'une manière légale et réglementaire, à savoir le contrôle de l'administration et le rôle du conseil de l'ordre. L'abrogation de la disposition autorisant cette activité devra être maintenue, selon le Dr Yousfi, jusqu'à ce que ces deux conditions soient réunies. «Ce qui obligera à ce que tout soit fait dans la transparence la plus totale et chacun trouvera son compte légalement».

Il pense ainsi qu'«il est temps d'agir, que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités et que le corps médical s'assume». En attendant, le Dr Yousfi déplore «l'absence de volonté politique d'aller au fond des choses, de permettre à l'administration de contrôler sérieusement et au conseil de l'ordre de récupérer ses prérogatives pour pouvoir participer dans cette impérative remise en ordre d'un secteur aussi vital».