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Pourquoi le Pouvoir est amoureux des investisseurs étrangers et pas algériens?

par Kamel Daoud

Jour 237 du mois de l'allongement. L'événement de la semaine ? Sans évènements. Sur l'échelle des intérêts, le retour de Bouteflika n'est pas une actualité. Et d'ailleurs, le «politique» a cet effet secondaire de provoquer la nausée, liée à la surconsommation. Et donc ? Bifurcation sur une question de fond qui lie justement politique, économie, psychologie, jalousie et aliénation du colonisé: pourquoi le Pouvoir chez nous se méfie du «Privé» algérien, le déteste, le met en quarantaine depuis une cinquantaine (d'années d'indépendance), le soupçonne et l'inculpe cycliquement ? Un exemple : à Oran, une aciérie turquo-algérienne (c'est-à-dire turque en réalité), dite la plus grande usine privée dans ce filon et en activité depuis quelques mois. Avant de naître, l'usine et le contrat ont bénéficié de toutes les facilités et exonérations fiscales possibles, dans le cadre de l'encouragement à l'investissement étranger chez nous. En soi, c'est bon pour la santé de la nation. Dans le détail ? C'est tout bénéfice pour les Turcs : l'Algérie est le pays où le déchet ferreux coûte le moins cher et le rond à béton est ce qu'il y a de plus demandé par le marché intérieur en pleine explosion avec la bonne santé du bâtiment chez nous. Entre les deux prix, (celui du déchet ferreux et celui des billettes destinées au rond à béton) une plage de bénéfices pour l'usine qui, aujourd'hui, n'arrive plus à répondre à la demande et sélectionne ses clients selon leur chèque et la disponibilité immédiate du liquide. «Elle en arrive même à exiger 30% de la facture, en cautionnement, alors que le client solvable peut fournir des chèques garantie bancaire. La raison ? Les gestionnaires veulent travailler avec votre fric», nous dit un homme d'affaires. La société nage donc dans le bonheur, elle a un marché, trop de clients, de la matière première au coût le plus bas. L'amortissement du coût d'investissement de 750 millions de dollars se fera en une année si on calcule sur la base de 1.250.000 tonnes de production par an. Le reste sera du bénéfice pur et pour très, très, longtemps.

N'y avait-il pas des Algériens capables d'opérer dans ce secteur et avec la même performance ? Selon les canons du pessimisme algérien, non. En réalité, il existe en Algérie une vingtaine de capitaines d'industrie capables de relever ce défi et d'activer avec performance dans certains secteurs, jure-t-on. Sauf que le Régime n'aime pas les « privés » algériens. A cause du socialisme, du centralisme, de la jalousie de la kasma envers l'entreprise libre, du complexe du colonisé. Le tout en package : cela sonne mieux un contrat avec des étrangers et cela a l'air plus sérieux et en plus, cela n'enrichira pas un Algérien, ce qui est le but de l'égalitarisme. Le «on va faire fondre leurs graisses aux riches» de Ben Bella est devenu l'un des fondamentaux de la psychologie algérienne. Un wali, par exemple, a peur, a honte, est gêné de s'afficher avec un homme d'affaires algérien. Il craint pour sa carrière ou se sent dans l'obligation de s'en référer à sa hiérarchie par prudence ou pense pouvoir racketter l'indu parasite de l'indépendance apportée par les martyrs, mais tête-à-tête. A toute échelle d'ailleurs : le régime algérien a honte, idéologiquement, des riches algériens mais les parasite en privé, un par un. Il se méfie des hommes d'affaires mais fait des affaires avec eux. D'ailleurs, il les aime comme clients, pas comme vis-à-vis. Cela se conclut par un rapport malsain, maffieux, douteux et de peu de confiance entre les deux. Et cela mène à l'état des lieux connu : on encourage l'investissement mais surtout pour les étrangers, on parle d'inaptitude, de manque de performance chez les nôtres mais on ne fait rien pour aider à l'émergence d'une élite d'affaires et d'entreprises, on fait de l'hypernationalisme avec la bouche mais on fait dans le «comptoir» néocolonial avec les mains. Les plus pessimistes disent que c'est parce que la corruption est plus intéressante avec les étrangers qu'avec les indigènes et les plus optimistes se contentent de marchés de sous-traitance. La règle est qu'on n'aime pas, chez le régime comme chez le peuple, tout ce qui est «made in Algeria» et surtout si le produit est un être vivant. A la fin ? On se soigne en France, l'aciérie est turque et l'Algérie est une terre grasse pour les étrangers et une terre aride pour les siens. Et au fond de l'explication, l'explication la plus simple : on ne s'aime pas et on ne veut pas se voir s'enrichir les uns plus que les autres. Quitte à faire revenir les frères Barberousse comme l'ont fait les tribus d'Alger, il y a longtemps, et qui ne comprendront leur peine que lorsque les Ottomans ont commencé à leur voler leurs femmes et leurs puits.