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Chavez, la démocratie contre le putsch: Hugo Chavez vient de mourir à l'âge de 58 ans après un long combat contre le cancer.

par Ahmed Cheniki

Cet homme juste, extrêmement populaire, très aimé par les peuples d'Amérique Latine qui fait penser à Montserrat de l'auteur dramatique, Emmanuel Roblès a toujours épousé les causes justes. Il a été un élément central dans l'extraordinaire poussée des forces de gauche et de progrès qui allaient gagner les élections dans les pays sud-américains. On a même susurré à Alger à l'époque du vote de la loi sur les hydrocarbures qu'il ne serait pas étranger à la volte-face de Bouteflika par rapport à la loi très controversée, dangereuse et anticonstitutionnelle sur les hydrocarbures. Il savait que son combat contre la mondialisation et le néolibéralisme était semé d'embûches. Diffamé quotidiennement, Hugo Chavez qui savait mieux que ses adversaires ce que signifie la démocratie, était constamment menacé par les forces néolibérales qui ne le portent pas dans leur cœur. Mais il avait un avantage : il avait permis au peuple vénézuélien de sortir de la pauvreté et de profiter des revenus du pétrole. Il avait un objectif, un seul : gagner le combat contre la pauvreté en Amérique Latine et dans le monde, soutenant les adversaires de la mondialisation et les différentes forces de gauche, rêvant d'un monde où les hommes retrouveraient leur humanité.

C'est le seul chef d'Etat au monde qui a accepté de rejouer les élections et de les gagner encore une fois, après des pressions et des contestations de l'opposition qui domine la presse et l'audiovisuel détenant plus de 90% des télévisions et des journaux. Il a remporté une quinzaine de fois les élections, «les plus démocratiques, jamais réalisées» pour reprendre les propos d'un juste, l'ancien président américain, Jimmy Carter. Il savait bien avant les différentes élections que le peuple était avec lui et qu'il allait ridiculiser une opposition trop tentée par les entreprises putschistes et pensant en finir aussi facilement avec un homme nourri des idées de Simon Bolivar marquées par une forte propension à l'indépendance et à l'émergence d'une économie à tendance sociale. Tout avait été fait pour mettre un terme à une expérience qui mettait sérieusement à mal les calculs des lobbys financiers, trop frileux quand il s'agit d'admettre des régimes démocratiques qui ne pensent pas comme eux ne pouvant accepter un président, de surcroît populaire, et qui ne craint pas d'exposer ses amitiés et ses préférences politiques. D'ailleurs, juste quelques jours avant la tenue du référendum de 2006, il n'a pas manqué de déclarer que le Venezuela n'est nullement une colonie américaine.

Les commentaires de la presse «occidentale» posent sérieusement problème et donne à voir une information parcellaire, trop subjective et trop partiale. Quand les présentateurs de TF1, F2 et Euronews reproduisent à l'unisson le même qualificatif «controversé» pour évoquer Chavez, il est tout à fait légitime de s'interroger sur ce journalisme particulier qui juge les acteurs en fonction de préalables idéologiques et politiques tout en les drapant d'une enveloppe d' «objectivité», accordant une grande importance à la rumeur. Ainsi, depuis 1998, date de la première élection de Chavez à la tête du pays avec un large pourcentage de 56,2%, les médias vénézuéliens (suppléés par de nombreux médias américains et européens) contrôlés dans leur écrasante majorité par les grands groupes économiques et financiers cherchent à déstabiliser cette jeune démocratie, la mieux élue en Amérique Latine en multipliant les grèves sauvages et en tentant de paralyser un pays qui connaît une extraordinaire croissance économique et ayant vécu d'intenses réformes sociales qui commencent à faire craquer les anciens rapports d'exploitation.

Le président a accepté, en se conformant à la constitution, de convoquer en 2004 une consultation référendaire exigée par l'opposition et les Etats Unis, et de montrer au monde qu'il était toujours populaire et qu'il se vendait toujours bien dans un pays qui, à l'instar de Cuba, a été depuis 1998 le théâtre de grandes séances d'alphabétisation et d'interventions de l'armée appelée à mettre entre parenthèses sa fonction répressive pour contribuer à la mise en œuvre et la réparation de routes, d'hôpitaux, la construction de logements et l'ouverture de centaines d?écoles. Ces actions, surtout la réforme agraire qui tentait de récupérer les terres de l'Etat, injustement spoliées, pour les distribuer aux paysans pauvres souvent sans ressource, allaient provoquer de sérieuses réactions. Ainsi, en 1998, 70% des terres productives étaient entre les mains de 20% de propriétaires qui, souvent, ne disposaient même pas de titres de propriétés. 75% des paysans ne possédaient que 6% des terres. L'Etat n'a fait finalement que récupérer les terres illégalement occupées par des propriétaires terriens comme il a réparé une injustice en mettant en œuvre les «droits humains» et les «garanties sociales» (sécurité sociale) tout en proposant un «modèle humaniste, autogestionnaire et compétitif» qui n'exclut nullement des privatisations et l'ouverture de certains secteurs au privé national et étranger. Il vient, ces dernières années, de lancer un secteur public performant permettant la production sur place au Venezuela des produits de première nécessité comme le riz, le blé, l'huile, le café, à des prix modestes. De 1999 à 2010, la pauvreté a baissé de 24%.

Si la politique sociale a permis aux pauvres de trouver leur place dans la société, grâce à la gratuité des soins et à la mission du logement qui a permis à plus des milliers de pauvres de posséder une maison, les couches moyennes semblent profiter moins de cette embellie.

Les médias ont rarement essayé de rendre compte des réalités vécues par ce pays qui a connu une croissance continue malgré les nombreuses grèves insurrectionnelles qui n'ont pas manqué de caractériser les grands secteurs économiques, surtout le domaine pétrolier qui a connu de très fortes perturbations. Drôle de logique qui convoque des journaux, des médias et des associations de journalistes pour défendre une entreprise putschiste celle du 11 avril 2002 où le patron des patrons, M.Pedro Carmona s'était autoproclamé pour quelques heures président du Venezuela, avec le soutien de la presse, de la confédération des travailleurs du Venezuela et quelques militaires. Ainsi, le quotidien espagnol, El Pais s'était illustré par un soutien sans faille à cette éphémère opération comme d'ailleurs le New York Times, le Washington Post, CNN ou l'association Reporters sans frontières, à l'époque dirigée par un certain Robert Ménard. C'est ainsi que fonctionnent aujourd'hui les médias au niveau international qui prennent fait et cause pour les puissances d'argent, réels propriétaires des grandes chaînes de télévision et de la grande partie de la presse écrite. On ne peut comprendre cette odieuse campagne contre Chavez si on ne la met pas en relation presse et lobbys financiers et économiques.

C'est dans ce contexte teinté d?agressivité et d'hostilité manifeste que s'est déroulé le référendum de 2006 pouvant être révocatoire qui a permis à Hugo Chavez de confirmer sa popularité et de constater une légère progression de deux points (58,25%) par rapport aux élections de décembre1998(56,2%) et de juillet 2000 (56,73%). Tout le monde savait que bien avant l'annonce des résultats par le conseil national électoral vénézuélien, l'opposition allait crier à la fraude et ne pas reconnaître le produit des urnes. C'est ce qui s'était réellement déroulé quand le chef de l'opposition, humilié et abattu, a dénoncé quelque temps après l'annonce du verdict, ce qu'il a appelé des «fraudes électorales» et une «manipulation grossière».

Même la commission de surveillance des élections constituée d'observateurs internationaux et dirigée par l'ancien président américain, connu pour ses positions probes et honnêtes, Jimmy Carter a tout simplement constaté la transparence de l'opération et l'absence totale de fraude.

Il est certain que l'opposition a toujours cherché à provoquer un cycle de violences et à installer un climat insurrectionnel propice à toutes les subversions. L'objectif des opposants et de leurs soutiens à Washington, notamment les fameux «faucons» est de mettre un terme à cette expérience démocratique originale en Amérique Latine. La peur de la contagion démocratique est certainement pour quelque chose dans la position des «faucons» qui veulent tout simplement une démocratie à leur mesure, c'est-à-dire docile et non autonome. C'est vrai qu'aujourd'hui, de nombreux pays d'Amérique Latine ont vu les forces de gauche remporter les élections. Les choses semblent changer, même si le dernier putsch d'avril 2002 reste encore dans les mémoires. La télévision (neuf chaînes sur dix sont aux mains de ses adversaires) et 90% des radios et des journaux appartiennent à des forces politiques hostiles au président qui ne disposait à la télévision d'Etat que d'une émission hebdomadaire de deux heures «Alô Presidente» dans laquelle il s'adressait à son peuple, en monopolisant souvent la parole et en haranguant ses auditeurs. Ce leader populiste (le populisme n'est pas forcément négatif) qui a pour défaut de centraliser le pouvoir a été le premier à avoir engendré une rupture politique au Venezuela par la voie démocratique et sans violence. Mais cette «révolution bolivarienne» reste encore marquée par «l'énigme des deux Chavez» pour rependre la belle et pertinente conclusion de l'écrivain colombien, Gabriel Garcia Marquez qui considère que le président est travaillé par deux attitudes, l'une de droite et l'autre de gauche. Il serait, selon lui, traversé par deux instances qui, paradoxalement, pourraient fondre dans une même direction: romantisme et pragmatisme. Il passe d'un espace à un autre sans trop de difficulté, déconcertant ses proches souvent recrutés dans les figures de gauche des années soixante et même parfois d'anciens maquisards se retrouvent dans sa formation politique, le Mouvement pour la Ve République (MVR). Un universitaire américain, Jeffery Webber, considère qu'il avait «revivifié la critique du néolibéralisme et remis à l'ordre du jour le débat sur le socialisme» Mais l'élément essentiel marquant sa pratique politique, c'est cette extraordinaire propension à l'indépendance qui, d'ailleurs, caractérise le discours de Simon Bolivar. Il n'a pas craint de mécontenter les Américains en rendant visite à Saddam Hussein en août 2000, en pleins préparatifs de guerre contre l'Irak ou en entretenant d?excellentes relations avec Fidel Castro avec lequel il éprouvait un réel plaisir en jouant au golf. Il a interdit aux avions américains le survol de son territoire pour espionner la guérilla colombienne. Les attaques continues et gratuites contre les leaders cubain et vénézuélien s'expliqueraient par une volonté manifeste de substituer aux pouvoirs actuels des hommes-liges dont l'unique fonction est de servir de porte-voix à des maîtres étrangers. Cette posture a permis aux forces de gauche latino-américaines de remporter démocratiquement les élections et d'entamer un «processus d'union au niveau du continent.». Ce n'est pas surprenant que tous les chefs d'Etat latino-américains ont effectué le déplacement pour assister à ses funérailles.

Ainsi, Hugo Chavez qui a toujours été sévère à l?endroit des partis traditionnels a hérité en 1998 d'un pays au bord de la faillite qui a vu plus de 90 milliards de dollars quitter le pays pour être placé à l'étranger, et notamment à Miami. Ce qui lui a rendu les choses extrêmement difficiles d'autant plus que la hiérarchie de l'Eglise, les milieux d'affaires et la presse se sont toujours attaqués à l'orientation sociale de la politique de Chavez (sécurité sociale, limitation de la semaine de travail de 44heures) et ont cherché à instrumenter la presse qui prend ainsi la place des partis politiques, sérieusement désavoués par les électeurs. La presse de droite appelle souvent à l'insurrection et à traiter le président Chavez de tous les noms (fasciste, nazi, tyran?) alors que depuis 1998, aucun journaliste n'a été emprisonné ou un titre fermé malgré toutes les attaques diffamatoires dont le président est l'objet.

Mais aujourd'hui, se pose sérieusement la question de la succession dans une gauche et une direction vénézuélienne qui a toujours vécu à l'ombre du président. D'ailleurs, Hugo Chavez confiait en 2011 à un journaliste du Monde Diplomatique qu'il devrait «apprendre à mieux déléguer le pouvoir». On parle de plus en plus de trois noms qui seraient des candidats potentiels à son remplacement : M. Nicolás Maduro, un ancien dirigeant syndical, à l'origine du code du travail et actuel ministre des affaires étrangères, M.Elias Jaua, très écouté dans les milieux chavistes, vice-président exécutif ou l'actuel président de l'Assemblée nationale, Diosdado Cabello, un ancien militaire, soutenu par l'armée. Mais il semble que Nicolas Maduro a plus de chances pour succéder à El commandante.