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AMPUTATIONS

par K. Selim

Cette année, le 8 mars tombe un vendredi, jour de repos hebdomadaire, qui supprime pour beaucoup de femmes le «prétexte» du travail pour se retrouver hors des murs d'un domicile souvent carcéral. Tant mieux estiment celles qui considèrent cette célébration oiseuse, hypocrite et sans effet sur la réalité de sociétés malades d'injustices et de répression auto-infligée. Sa seule utilité est d'être une occasion de redire quelques vérités.

 La première est que le «statut» des femmes est l'une des raisons premières de la stagnation régressive dans nos sociétés. Elle est aggravée par le reflux de progrès de la mixité sous l'effet d'un salafisme qui n'est jamais «apolitique» et d'un bigotisme inversement proportionnel à la diffusion du savoir. La seconde vérité, corollaire de la première, est que les hommes ne peuvent progresser sans les femmes. Quand la moitié du ciel est en prison, l'autre moitié se transforme en geôliers. Et, cela vaut pour tous les systèmes, une société carcérale est une société malade. En Arabie Saoudite, un establishment religieux politique aux ordres et bien financé diffuse avec une profusion de moyens une version dégradée de la religion qui «néantise» la femme, la chosifie, la réduit à un corps dangereux et subversif.

 Cette vision frustre s'étend à mesure que les progrès réalisés dans le domaine de l'éducation et de la diffusion du savoir s'étiolent et se perdent par mauvaise gestion, par absence de suivi et de suite dans les idées. Plutôt que d'expliquer à nos enfants la tectonique des plaques, on favorise l'expression de personnages creux - qui considèrent que le drapeau national est une «bidaa», une innovation coupable - leur assurant qu'un séisme est une punition divine. Même pas une épreuve où les hommes seraient appelés à donner le meilleur d'eux-mêmes dans l'adversité, non une punition ! Le gâchis est terrible ! Ces gens qui mettent leur pauvre honneur dans l'enfermement des femmes sont des oppresseurs ; ils sont bien les inventeurs de la pire des innovations anti-mahométanes, celle d'une néo-djahiliya qui poursuit, au niveau symbolique, l'enterrement des femmes qui prévalait à l'époque extrêmement lointaine de la djahiliya.

 Cette moitié de nous enfermée et réprimée par tous, y compris par des bambins que l'on crétinise précocement et avec un horrible entêtement, c'est notre immense potentiel de créativité qui est brimé, bridé et en définitive gâché ! On le sait, on n'inversera la courbe de la régression et on ne renouera avec le progrès que par l'éducation, par un effort pédagogique volontariste et permanent. C'est un combat rude que d'aller à contre-courant du pense-bête des néo-djahiliens qui s'appuient sur des siècles de système patriarcal et de recul des sociétés islamiques ; c'est un combat que seul un régime légitime et respecté, donc moralement puissant, peut mener à bien avec des espoirs de réussite. Car un régime moralement faible ne peut que céder devant le bigotisme qui transforme la morale en pudibonderie oppressive et en tartufferie.

 Ceux qui tendent l'oreille dans de nombreuses mosquées peuvent constater cette étrange haine des femmes que l'on retrouve dans des prêches nauséabonds où l'on fustige de manière compulsive les femmes qui travaillent, lisent des livres, regardent la télévision ou, pire, qui exercent une responsabilité publique quelconque. Ce discours imbécile n'est pas celui de nos aînés du mouvement national, il n'est pas celui des oulémas, pas celui de Ben Badis? c'est le produit d'un échec et d'une perte de substance pour une révolution qui avait pour objectif la libération et l'émancipation citoyenne des Algériennes et des Algériens. Notre intelligence collective a terriblement reculé, la qualité de l'éducation qui est donnée aussi bien par l'école que par l'environnement également. Les avancées réalisées par un important effort dans les premières décennies de l'indépendance sont laminées par le retour en force d'un patriarcat rigoureusement inintelligent qui ampute en permanence les capacités d'évolution de notre société. Devant ce constat amer, les célébrations mécaniques du 8 Mars ont quelque chose de grotesque et de déplacé?