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Le secteur par les chiffres : Plaidoyer pour une nouvelle organisation du système de santé

par Ziad Salah

Présenté par Mohamed Mebtoul comme étant un «aventurier» qui a énormément apporté à la santé publique en Algérie, Jean-Paul Grangaud, ancien haut cadre du ministère de la Santé publique et conseiller de l'OMS, hôte du GRAS (Groupe de recherche en anthropologie de la santé), a présenté, dimanche, une conférence intitulée «Evolution du système de la santé en Algérie».

 Après avoir avancé la définition par l'OMS de la notion de système de santé, J.P. Grangaud s'est employé à retracer le volet humain du système de santé algérien. Concernant les usagers, il avancera certains chiffres sur ce qu'il a appelé «la transition démographique». On retiendra de ses données que la croissance naturelle qui était de l'ordre de 3,34% en 1970, a chuté à 2,43% en 1992, pour se stabiliser autour de 1,91% en 2005.

 Un autre indicateur de l'évolution démographique dans l'Algérie post-coloniale est l'indice de la fécondité féminine (ISF exprimant le nombre de naissances par femme). Celui-ci était de 8,36 en 1970, il est passé à 4,71 en 1992, pour se situer autour 2,27 en 2005. Concernant «la transition épidémiologique», le conférencier, qui a occupé de hauts postes au ministère de la Santé, affirme que la diphtérie est carrément disparue, puisqu'en 2007 on n'a enregistré aucun cas, alors qu'en 1979 les services de santé ont relevé 73 cas. Le nombre de cas de tétanos a régressé à 10 cas en 2007, contre 37 en 1979. La poliomyélite a elle aussi été éradiquée, alors qu'en 1979 on a recensé 72 cas. L'hépatite A a chuté de moitié pour la période considérée : 3.467 cas en 2007 contre 6.346 cas en 1979.

 L'autre volet humain du système de santé publique concerne le personnel employé. Ainsi, depuis 1966, date d'établissement des statistiques, on est passé de 1 médecin pour 8.112 habitants à 1 médecin pour 830 habitants en 2007. Le conférencier notera qu'actuellement, la proportion est de 1 médecin pour 300 habitants. Concernant les spécialistes, il a avancé qu'en 1999 on a relevé un spécialiste pour 3.594 habitants, pour arriver en 2007 à 1 spécialiste pour 2.081 habitants. En 1966, l'Algérie avait un pharmacien pour 50.926 habitants ; or, en 2007, on relève un pharmacien pour 457 habitants. Cette progression a été relevée même en ce qui concerne le personnel gestionnaire de la santé. L'ensemble du personnel administratif, qui était de l'ordre de 2.026 en 1979, est passé à 14.222 en 2006. Le personnel technique a atteint le nombre de 9.178 techniciens en 2006, alors qu'il ne dépassait pas les 722 en 1979.

 Quant aux structures, les données de 2007 avancent 29 CHU et EHU, totalisant 14.150 lits. Le conférencier précise que ce genre d'établissements est passé actuellement à 54. L'ensemble des EHS (Etablissement hospitalier spécialisé) répartis à travers le territoire national est de 36 unités avec 7.578 lits, alors que le nombre d'EHS a déjà atteint 234 avec 35.869 lits. Pour les maternités autonomes, elles sont 26 et offrent 235 lits. Au total, toutes les structures de la santé publique, indépendamment de leur statut, possèdent une capacité d'accueil de 61.126 lits. Grangaud remarquera que, conformément aux normes internationales, les maternités qui n'enregistrent pas 1.000 hospitalisations par an sont condamnées à la fermeture.

 Cependant, le secteur privé constitue un appoint de plus en plus considérable au secteur public. Le nombre de cabinets spécialisés a atteint le chiffre de 5.206 en 2007. Le nombre de cabinets de chirurgie dentaire est de l'ordre de 6.689, alors que les officines pharmaceutiques a déjà dépassé 7.009 unités. Le fait nouveau, relevé par le conférencier, est le cabinet de groupe dont on recense l'existence de 248. Le secteur privé compte 57 centres d'hémodialyse. Concernant le volet structures, les chiffres avancés par le conférencier témoignent de la part de plus en plus grandissante que s'octroie le secteur privé.

 Décrivant ce système du point de vue réglementaire, l'hôte du GRAS rappellera quelques dates marquantes de sa trajectoire. En 1965, la mise en place du programme national de lutte contre le trachome, le paludisme et la tuberculose. Dix ans après, l'institution du programme sanitaire avec des normes précises : 1 centre de santé pour 6.000 à 7.000 habitants, une polyclinique pour 15.000 à 25.000 habitants et un hôpital pour chaque daïra et chaque wilaya. La vaccination obligatoire et gratuite a été instaurée dès 1969. La création des secteurs sanitaires et des sous-secteurs remonte à 1979 et la création des CHU en date de 1987. La formation du personnel d'administration a démarré en 1982.

 Le décret que Grangaud qualifie de «criminel», dit de réorganisation des structures de la santé publique, date de 2007. Le financement de ce système de santé provient conjointement des caisses de l'Etat et de la sécurité sociale, avec des proportions inversées par moment. A un moment donné, la part de l'Etat était de l'ordre de 70% contre 30% représentant l'apport des cotisants sociaux. Mais ces données ont changé par la suite. Donnant un cas illustratif, le conférencier rappellera le budget alloué à la santé publique en 2008 : 164.711.000.000 DA. La moitié de ce budget est absorbée par la rétribution du personnel, presque 82 milliards de DA, presque le un quart est attribué à l'acquisition des médicaments (plus de 39 milliards de DA). L'alimentation dans les hôpitaux s'adjuge plus 5,6 milliards de DA.

 La recherche médicale est le parent pauvre de ce budget, puisqu'elle ne bénéficie que de 50 millions de DA. Le conférencier notera qu'un fonds des urgences, devant être financés par les redevances du tabac, n'a jamais été utilisé.

 Sur un autre plan, le conférencier indiquera que la loi 05-1985 régissant ce système est obsolète puisqu'elle ignorait l'existence du secteur privé. Un projet établi par tous les acteurs de la santé en 2003, réaménagé en 2004, se trouve toujours dans les placards du gouvernement. Ce projet devait mettre en place le concept de district sanitaire où le public et le privé se trouvent en complémentarité. Le désaccord entre le ministère du Travail et celui de la Santé publique à propos du financement de «la contractualisation» est derrière le blocage du projet de 2003, note le conférencier. Il juge l'actuel système de santé «d'éclaté», de manquant de «coordination entre les différentes structures» et de consacrant de fait «les disparités régionales» en matière d'infrastructures et équipements. Aussi, il ignore ce que c'est «un tableau de bord».

 Dans ce cadre, le conférencier affirme que depuis 2006, les statistiques se font de plus en plus rares. Il ajoutera que même les textes réglementaires sont considérés comme «top secret». Il énumérera d'autres faiblesses de l'actuel système de santé, telle que «la confusion entre planifications et opérations planifiées», en plus de la «faiblesse de l'évaluation» et «l'absence du suivi dans les décisions». Il terminera son intervention en relevant «l'absence de passerelles entre le domaine de la santé et l'Université». Pour lui, il est urgent de «reprendre le projet de 2003, puisqu'il a réussi à fédérer les préoccupations des professionnels et même des usagers. Condition sine qua non pour l'efficience de tout système de santé.