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Harcèlement moral en milieu de travail : En attendant un cadre juridique

par Mokhtaria Bensaâd

Le harcèlement moral en milieu de travail. Un comportement qui échappe à la loi, actuellement, mais qui commence à faire du bruit, puisque de plus en plus de victimes osent le dénoncer et cherchent un moyen de protection contre ce phénomène non encore reconnu en milieu professionnel et juridique.

 La fuite des cadres trouve, en partie, son explication dans le harcèlement moral, estime le Dr Hachelafi, enseignant-chercheur et chef de projet de recherche sur la violence psychique en milieu de travail, du fait que les consultations psychiatriques ont démontré que de hauts fonctionnaires dans différents secteurs d'activité sont touchés par le phénomène et ont dû, pour certains d'entre eux, quitter le travail ou souffrir en silence en l'absence de prise en charge.

 Intervenant lors d'une conférence organisée, avant-hier, au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) sur le harcèlement moral en milieu de travail, le Dr Hachelafi a parlé de ce comportement comme étant un abus de pouvoir exercé à partir de postes de responsabilité et qui peut avoir des conséquences négatives sur le plan professionnel, social, individuel et collectif. Problèmes de santé mentale, arrêts de travail, consommation médicamenteuse, situation conflictuelle au travail, perturbation relationnelle, rentabilité et qualité de prestation, marginalisation des potentialités et compétences, blocage de carrières et fuite des cadres vers l'étranger, voilà le schéma tracé par les spécialistes et définissant parfaitement les conséquences du harcèlement moral et dégradations des conditions de travail.

 Mais, selon l'enseignant-chercheur, les dispositions juridiques contre ce phénomène sont inexistantes dans notre pays et non actualisées, et en matière de médecine de travail, dira-t-il, « on trouve des difficultés pour émettre des recommandations car, en tant que médecins du travail, nous sommes des conseillers de l'employeur et nous n'avons pas la force d'exécution des recommandations ». En l'absence d'un cadre juridique pouvant aider les victimes à demander réparation lorsqu'il y a harcèlement moral, le groupe de chercheurs sur ce projet de recherche oeuvre à mettre au point une réflexion pluridisciplinaire sur la réalité de ce phénomène dans nos entreprises et institutions, et à élaborer une étude comparative des dispositions de prise en charge des victimes du harcèlement avec, évidemment, un support juridique représentant une issue de réhabilitation des victimes et une voie de prévention utiles pour les abus d'autorité dans la gestion.

 Pour avoir un aperçu sur ce qui se fait sur ce plan dans les pays européens, le CRASC a invité un expert européen en droit social et droit du travail et auteur de plusieurs ouvrages sur le harcèlement moral en France, Me Philippe Ravisy. Le conférencier a d'abord parlé de l'émergence médiatique de la notion de harcèlement moral en Europe avant la proposition d'une loi protégeant les victimes et évoqué le facteur déclencheur qui a contribué à faire de la lumière sur ce phénomène. Ce facteur a été les publications qui ont commencé à apparaître sur le harcèlement moral depuis les années 90 à l'exemple du livre «mobbing», de Heintz Leyman, de la Suède en 1996, celui de Marie France, en 1999, qui a traité du harcèlement moral dans la famille et au travail et le livre du conférencier sorti en 2000 sur le harcèlement moral au travail.

 Cette loi, qui a été votée en 2002, a connu une traversée du désert pour la simple raison que les juges, explique l'expert français, « ont refusé d'appliquer cette loi. Les juges recherchent l'intentionnalité et ce n'est qu'en 2008 que la cour de cassation a repris en main cette affaire en n'exigeant pas que le harcèlement soit intentionnel. Depuis 2008, la victime est reconnue comme tel en France et peut avoir réhabilitation et réparation, lorsqu'il y a préjudice.

 Le conférencier a insisté sur l'adaptation des textes sur les conditions de travail aux circonstances nouvelles d'harcèlement moral, un comportement portant atteinte à la dignité humaine». Le conférencier a aussi parlé de l'existence de plusieurs formes de harcèlement moral en milieu de travail qui continuent malgré l'existence de la loi du 17 janvier 2002.

 Nous espérons, à travers la nouvelle loi du 10 novembre 2009, que les droits ne soient pas bafoués», a-t-il conclu.