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Sur fond de cocaïne colombienne : La Guinée-Bissau perd ses deux têtes

par M. Saâdoune

En moins de 24 heures, la Guinée-Bissau a perdu ses deux têtes : le chef de l'armée et le chef de l'Etat. Le chef d'état-major, Tagmé Na Waié, a été tué en premier, dans la nuit de dimanche, dans un attentat contre le quartier général de l'armée. La réplique s'est faite à l'aube. Des militaires proches du chef d'état-major ont abattu par balles le président Joao Bernardo Viera alors qu'il tentait de fuir sa maison. Les deux événements sont directement liés et traduisent clairement le niveau d'exacerbation des luttes au sommet du pouvoir. Rien n'allait plus entre les deux hommes. En novembre dernier, des militaires avaient lancé, de nuit, un assaut contre la résidence du président Viera. L'incident avait fait deux morts parmi la garde présidentielle. Le président Viera en gardera une forte rancoeur à l'égard du chef d'état-major à qui il a reproché son inaction. Deux mois plus tard, au début du mois de janvier, c'est le général Na Waié qui a accusé les proches du président d'avoir voulu le liquider. Des soldats en faction auraient tiré sur lui au passage de sa voiture devant le palais présidentiel. C'était le début d'une crise grave entre l'armée et la garde présidentielle, une milice de 400 hommes, constituée justement après l'attaque contre la résidence du chef de l'État. L'armée a ordonné la dissolution de la milice.

Qui a mené l'attaque contre le QG de l'armée qui a entrainé la mort du chef d'état-major ? On ne le sait pas encore, mais à l'évidence, les militaires ont désigné le coupable, le président, et l'ont exécuté sans attendre. Ils ont ordonné préalablement à des stations de radio privées et à la télévision de cesser leur émission pour leur « sécurité ». L'instabilité est chronique depuis l'indépendance du pays en 1974. De nombreux coups d'État et tentatives de putsch ont eu lieu. Joao Bernardo Viera, dit Nino, a lui-même organisé, en novembre 1980, un putsch contre le président Amilcar Cabral, dont il était le Premier ministre. Il s'est fait élire en 1984, a échappé à un coup d'État un an plus tard, avant de se faire destitué par les militaires en 1999. Après sept ans d'exil au Portugal, Viera a été réélu à la présidence en octobre 2005. L'armée « respectera l'ordre constitutionnel et la démocratie », a affirmé le capitaine de frégate, José Zamora Induta, porte-parole de la commission militaire mise en place dimanche soir, en mettant en garde contre ceux qui « interprètent cela comme un coup d'État ».



Humour noir : «ce n'est pas un coup d'État»



C'est quasiment de l'humour noir. La ligne consiste à dire que la mort du président n'est pas un coup d'État et qu'elle n'est pas une réplique à la mort du chef d'état-major. Le problème est que José Zamura a été le premier à annoncer mort du président Viera en l'accusant, dans une déclaration à l'AFP, d'être « l'un des principaux responsables de la mort de Tagmé ».

Les condamnations de l'assassinat du président Viera ont été immédiates. L'Union africaine, la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) ont condamné l'assassinat. L'Union africaine a appelé les forces politiques à se rassembler derrière les autorités légitimes après la mort du président et du chef d'état-major. Le Conseil de paix et de sécurité de l'UA pourrait se réunir en urgence. Javier Solana, le chef de la diplomatie de l'UE, a également condamné l'assassinat du président et a appelé au maintien de l'ordre constitutionnel. Il reste à voir comment cet ordre constitutionnel va être préservé.

Avec des institutions fragiles, la Guinée-Bissau connaît, depuis l'indépendance, une lutte permanente pour le contrôle du pouvoir. Celle-ci s'est exacerbée ces dernières années avec la transformation du pays, dénoncée en 2007 dans un rapport de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, en plaque tournante du trafic de drogue en provenance d'Amérique Latine et à destination de l'Europe. Les différents clans au pouvoir se concurrencent pour le droit, juteux, d'assurer la « protection » des narcotrafiquants d'Amérique Latine et de Colombie en particulier.



Le pouvoir et la drogue



Dans un pays où la seule richesse est la noix de cajou, l'afflux des narcotrafiquants a rendu les batailles entre les clans encore plus âpres. Le rapport de l'Office des Nations unies soulignait que les trafiquants profitaient de la faiblesse de la surveillance, de l'instabilité gouvernementale et de la pauvreté pour s'installer et mener leur affaires. Il relevait que le trafic de drogue risquait de déstabiliser « le processus de démocratisation de la Guinée-Bissau, d'encourager le crime organisé et de bafouer le principe de l'Etat de droit ». Le rapport mettait en cause des « implications probables » du gouvernement et de la responsabilité de hauts fonctionnaires dans « la disparition de 670 kilogrammes de cocaïne saisis par les autorités ». Les organisations internationales de défense des journalistes ont dénoncé les harcèlements contre les journalistes qui couvrent le trafic de drogue.