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Rente pétrolière et syllogisme

par K. Selim

« Dans ce pays, il n'y a qu'une seule caisse, elle est alimentée par le pétrole et rien d'autre. Qui- conque devient riche a, d'une manière ou d'une autre, mis la main à la caisse.» Les syllogismes du guide de la grande Jamahiriya libyenne sont souvent percutants. Comment résoudre la question des inégalités dans un pays qui ne produit rien ? Kadhafi a trouvé la réponse l'an dernier: redistribution directe des revenus pétroliers aux Libyens. Entre-temps, le prix du pétrole a plongé mais cela ne dissuade pas Kadhafi. A la mi-février, les comités populaires de base ont discuté du projet de redistribution qui s'accompagne, selon la dialectique du guide, de l'abolition du gouvernement.

Le Congrès du peuple général devrait se réunir dans les prochains jours pour entériner le choix de la redistribution et de la mise au chômage des ministères. On en connaît le principe. Le gouvernement qui gère l'argent du pétrole a échoué, ceux qui sont en charge de l'exécution des projets ont mis la « main à la caisse » et ont créé une situation de frustration au sein de la population. Plutôt que de donner l'argent aux bureaucrates, remettons-le au peuple qui doit organiser lui-même les choses. Les questions pratiques du projet ont beau inquiéter, le colonel n'en démord pas et demande aux Libyens de ne pas laisser passer cette « chance historique ». Concrètement, les comités populaires de base ont discuté de plusieurs scénarios élaborés par les experts du gouvernement appelé à disparaître.

Ces scénarios instituent, sur la base de leurs revenus, cinq catégories de Libyens. Dans l'une de ces options, les membres de la catégorie la plus pauvre, un million de personnes, recevraient une rente annuelle substantielle. Les gens classés dans la catégorie des nantis en recevraient beaucoup moins. Une révolution ! Sur le papier, quelle meilleure manière de rétablir l'égalité dans l'accès aux richesses pétrolières. Le guide met les Libyens devant un dilemme. S'ils rejettent le projet de redistribution, cela veut dire qu'ils acceptent que des ministères incompétents et corrompus se chargent de gérer l'argent du pétrole et ils devront cesser de maugréer. « N'escomptez pas des lois pour demander des comptes à l'Etat, de poursuivre la corruption et l'abus de pouvoir... N'en attendez rien, ces lois vous les avez faites, les congrès populaires les ont promulguées et elles n'ont servi à rien. Plus besoin de tout ce cassement de tête, prenez votre argent et faites par vous-mêmes ».

Le problème est que cette distribution est assortie d'une auto-prise en charge par la population des services publics, de l'éducation... qui pose des questions pratiques gigantesques. Cela n'effraie pas le colonel qui, il est vrai, n'exclut pas un retour en arrière si l'expérimentation échoue. En fait, il est certain que le gouvernement ne disparaîtra pas de Libye. Il restera une grande opération de redistribution, plus de 30 milliards de dollars en 2009, qui va sûrement avoir lieu. On pourra voir si le colonel Kadhafi a résolu le problème - qui vaut pour l'Algérie - de l'inégalité de l'accès à la rente ou s'il ne s'agit que d'une fuite en avant née de conclusions erronées faites à partir d'un syllogisme en apparence très juste.