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TOUT UN CINÉMA !

par Belkacem Ahcene Djaballah

Ouf ! Il était temps que le film de Deraïs sur «Ben M'hidi» voit enfin le jour (le 4 mars 2024). Il y a de quoi lorsqu'on voit tous les obstacles rencontrés pour sa seule sortie sur les écrans. Un produit de 1h56mn qui a coûté 4 millions d'euros, et qui a employé 200 personnes mais qui, en fin de parcours, a rencontré, avant sa diffusion, 55 réserves (surtout de la part des investisseurs publics, dont le ministère des Moudjahidine qui a contribué au financement à hauteur de 30%). D'où, 6 ans de retard et 6 années de négociations, de discussions aboutissant à 76 secondes «coupées»; 3 mn de coupures sans remontage («des dates, des noms de certains protagonistes ainsi que quelques phrases non conformes à la «vérité historique», nous dit-on). Entre-temps, il lui a été consacré 562 articles dans la presse écrite et 72 segments ont été diffusés à la radio et à la télévision. Et beaucoup d'autres dépenses, de réunions et de débats, pour certains d'entre eux inutiles. Certes, tout un tapage politico- bureaucratico- médiatique qui l'a rendu célèbre et qui va certainement -on l'espère - drainer des foules dans ce qui nous reste comme salles de cinéma. Mais, un tapage qui a détérioré l'image de tout un pan de la gestion culturelle du pays.

L'attente aura été bien plus longue n'eut été, paraît-il, l'intervention du Chef de l'Etat qui, certainement, irrité par tous ces blocages, aurait donné l'ordre de «lâcher» le film d'où la «projection surprise» du 4 mars (1.500 places gratuites?). Ce qui n'est pas encore gagné tant il est vrai que l'on n'est jamais à l'abri de surprises, la diffusion d'un produit culturel étant toujours sous la «surveillance» des «gardiens de la vérité historique» qui peuvent surgir n'importe où et n'importe quand, au niveau local comme au niveau national. Je me souviens de certains débats houleux lors de la projection du film de Rachedi sur «Ben Boulaïd», cet autre immense héros national. On avait même vu l'ex-président Bouteflika, donner, en public, au sortir de la salle de projection (El Mouggar) ses «impressions» sur le film et ses «orientations» sur la manière de produire un film historique.

Six ans d'attente, et alors que la réalisation s'était terminée en 2018 et qu'une première sortie avait été annoncée par un ministre courant 2022. Attente qu'il faut chiffrer en coûts multiples. Et, surtout en pertes financières sèches dues à l'immobilisation d'un capital financier et humain investi, au demeurant assez lourd, capital qui dev(r)ait être rentabilisé aussi rapidement que possible. Il y a, aussi, le désintéressement des publics fatigués d'attendre et surtout démobilisés par les débats autour d'on ne sait quelle «censure». Tout ça, au final, pour 76 secondes de «trop». 76 secondes qui ont meublé déjà pas mal de «papiers».

Une belle (mal-) aventure pour le réalisateur qui, bien que tout heureux de voir son film «sortir» et applaudi, bien que très heureux d'avoir «ressuscité» Ben M'hidi, aurait expliqué qu' «il arrête de travailler avec les institutions étatiques».

La grande question, en définitive! Juste au moment où une loi sur l'industrie cinématographique a été adoptée par l'APN, avec des amendements à la pelle, multipliant les «interventions» et certainement augmenté (e)s par le Conseil de la nation. Pour ma part, je pense qu' en dehors des films d'«Histoire» (sorte de documentaires finement étudiés où la vérité doit obligatoirement se marier à l'exactitude des faits et des propos), il est temps de libérer la production des films historiques (de fiction), entre autres, de tout contrôle (ou aval) des institutions se sentant, à tort ou à raison, concernées par le contenu. Ceci n'empêchant pas les avis et les consultations des spécialistes reconnus par l'Université. Le film de fiction historique doit certes raconter le passé mais, à l'écriture particulière qui ne colle pas nécessairement à la stricte «vérité» historique, il doit, aussi, faire «rêver» en ne «tuant» jamais ses héros. Et, le rêve -individuel ou national-ne doit appartenir à personne d'autre qu'à celui qui le fait et au spectateur.



PS: S'il y a un recordman en la matière à citer, c'est bien Athmane Ariouet qui attend (ou a attendu), depuis plus de 20 ans, la «libération» de son film, «Chronique des années pub'».