Oui, l'âge
opère des ravages là où le temps demeure indécis ! Etre heureux comme un martyr
qui n'a rien vu, c'est un peu se mettre dans la peau d'un homme qui a cessé de
vivre, c'est-à-dire, selon une philosophie nirvanique, ne rien voir de ses
yeux, ne rien entendre de ses oreilles, ne penser à rien, ne s'en éprendre de
rien, ne rien sentir de tous ses sens chloroformés. C'est que selon un médium
en smoking-gandoura, les Algériens sont malheureux parce qu'ils ne savent
toujours pas quoi faire ni de leur vie plate, ni de leur temps qui avance à
rebours de leur âge, ni même de leur pays, si grand qu'il donne le vertige.
Comme le vide cosmique. Comme nés sans le souffle de la vie, les Algériens ont
perdu jusqu'à l'envie de sourire, comme cela se fait sous des cieux plus
«riants», tellement, sous le toit «ombrageux» de notre grande maison, les
années se suivent mais ne se ressemblent pas. Un peu comme un homme qui court à
perdre haleine derrière son ombre chinoise sans jamais réussir à la rattraper.
Mais à interroger l'histoire ancienne mais aussi la nouvelle sur les raisons
cabalistiques d'un tel «coup de savate» au moral des Algériens, d'aucuns, en
regardant par le chas de nos contradictions
existentielles, y voient le «résultat trop logique» de celui qui veut jouir
d'un rire zygomatique sans jamais faire frétiller le moindre muscle ni de sa
bouche ankylosée ni même d'une seule de ses paupières atrophiées. D'autres
croient d'une foi cosmogonique que pour être heureux, il faut d'abord croire
que la joie vit elle-même heureuse parmi ceux qui courent après elle. Mais sans
jamais réussir à faire la course avec elle (la joie) avec en face ceux qui en
profitent comme le fait un ver de terre livré à son cadavre esseulé. Un peu comme
un ballon de foot rempli d'air, il y a ceux qui courent après sans jamais
attraper le bout de son bout, ceux qui tirent dedans pour atteindre leur but et
ceux qui jouent avec pour montrer aux autres que l'on peut devenir heureux
juste en différenciant entre son pied gauche et sa jambe droite.
«A pays
riche, peuple pauvre», est peut-être dans le passé d'un pays privé du droit de
vivre pendant trop longtemps, avec un passé qui hante les adultes et un présent
qui refuse, net, de prendre la peau d'une peine de bonheur à perpétuité pour
les plus jeunes ! Parce qu'un peuple qui croque la vie d'une mâchoire brisée
n'a pas d'autre choix que de rêver à un monde dit «meilleur». Quand il n'a reçu
de la vie qu'un seul cadeau: le désespoir, qu'est-ce
qui lui reste encore à perdre ? Seul son malheur peut alors devenir son seul
courage !