Je ne
parlerai pas du nouveau coronavirus. Ni de l'empire du Milieu ni même de tous
ceux qui nous dessinent, comme un dessin effroyable, une fin du monde, alors
nous ne savons pas quel monde voulons-nous. Je ne veux pas parler sachet de
lait ni du gaz de schiste. Ni du Hirak social qui
secoue tout le pays. Pas même des «contre-feux», allumés ici et là. Non, je
veux parler de moi, de mon pays: l'Algérie. Parce qu'à
regarder de près ce dégoût de vivre qui s'empare des Algériens, il y a
peut-être de quoi trouver matière à comprendre pourquoi tout le pays semble
tirer vers le bas. L'on dit aujourd'hui que si trois Algériens sur quatre
aiment leur pays, le quatrième néglige trop «sa» patrie, au point qu'il n'a
jamais les moyens de payer ni loyer, ni l'électricité ni même le gaz, sauf,
peut-être, son mauvais plat quotidien, son abonnement Internet, ou son flexy biquotidien. Parce que l'on dit aussi que l'Algérien
de Z'dama comme celui du petit village «coincé»
là-bas entre Sidi Balak et Aïn-peut-être,
passe au moins douze heures par jour (plus qu'il ne boulotte !) à parler ou
tapoter sur son téléphone sans que personne ne trouve aucun mal à deviner sur
quoi il pourrait bien «déblatérer», pendant tout ce temps qui ne veut pas
mourir. L'Algérien, seul capable de se parler à lui-même, trouverait même le
moyen de se rendre la vie facile au point de vouloir transporter le monde sur
son dos. Tout vouloir réduire à la taille d'une seule main. Comme porter tout à
la fois (en bandoulière) sa garde-robe, son garde-manger, son poste TV, son
frigo, son matelas à ressorts, son bahut à chemises délavées, ses chaussures
usées et même ses chaussettes nippées. Il voudrait même porter avec lui sa mère
sur le dos et sa femme sur la tête. L'Algérien a un besoin si irrépressible de
parler qu'il est capable de dire tout, n'importe comment, à l'endroit, à
l'envers, la bouche pleine, l'estomac vide, dans n'importe quelle langue, dans
toutes les positions, avec tous les mots qui lui «transitent» par la tête. Il
faut bien se convaincre que l'Algérien a une soif irrépressible de «se dire» à
l'autre, de montrer sa langue fourchue à tous, son nez bien droit et ses pieds
bien plats. Certains ont même leur manière propre de prouver leur vie aux
autres, comme ces jeunes épris d'une nouvelle mode, celle d'investir tous les
«murs», juste pour dire son sentiment à l'égard d'un être aimé, son fiel à en
revendre, son rêve d'aller sur la lune, ou carrément son rejet total et violent
d'une société qui le cloue au mur de toutes les incompréhensions.
L'époustouflant
succès des «machins parlants» en Algérie s'expliquerait aussi par ce «cas
particulier» à nous autres Algériens, celui d'actionner son portable partout et
nulle part, dans la rue, sur le toit d'un moulin à vent, coincé dans un bus ou
un taxi, sous la douche, au boulot, suspendu entre ciel et terre, juste pour
demander qu'est-ce qu'il y a à becqueter à midi, le navet programmé pour la
soirée sur l'unique, le temps qu'il fera demain la veille ou même la date de la
Saint-Valentin. Face à nos terribles désinvoltures, quoi faire, sinon que
d'opposer ce sésame passe-partout de «Allah Ghaleb»,
certainement religion déclarée du peuple mais pas celle de l'Etat ? Mais l'Etat
peut-il être tout le pays, cette gigantesque machine en panne, incapable de
faire face à ses trop nombreuses ornières ?