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La place dans le lit

par Amine Bouali

La place que nous prenons dans notre lit est la même, peut-être, que celle que nous occupons dans la vie. Inconsciemment, nous nous comportons, dans notre façon de dormir, avec le même état d'esprit, peut-être, que nous exerçons notre métier de vivre. Certains, dans leur lit, règnent en véritables maîtres des lieux, étendus au milieu ou le plus proche possible du centre de cet espace privé, allongés sur le dos, les jambes tendues, les bras largement ouverts.

Personne, ni une femme, ni un chat, ni une insomnie ne viendra, un soir, leur contester cette place de choix et les déloger de cette position de pacha qu'ils espèrent conserver même dans la tombe.

D'autres hésitent, par contre, n'arrêtent pas de bouger, de chercher un modus vivendi avec leurs inquiétudes, essaient de trouver un arrangement avec l'idée qu'ils ont gardée d'eux-mêmes, juste avant d'aller se coucher. Selon le cas alors, soit ils s'enfuient au fond du divan soit, au contraire, ils investissent le maximum d'espace dans ce lieu intime et prennent ainsi leur revanche contre le sort en général, toutes les petites et grandes humiliations qu'ils ont eu à subir durant leur journée.

Enfin, certains occupants du lit ne s'y aventurent qu'avec prudence et une sorte de courtoisie propre aux êtres sensibles ou malheureux. Dans leur lit comme dans leur vie quotidienne, ils se comportent comme de simples invités et sont persuadés qu'ils ne sont, chez eux, nulle part et que rien ne leur appartient réellement ici. Lorsqu'ils se reposent ou lorsqu'ils aiment, ils savent qu'ils sont des privilégiés et qu'il leur faut payer un jour, de toute façon, le prix de chaque moment de paix ou de plénitude.