Il a un
seul rêve, celui de partir. Le nom d'«el bote» est toujours dans sa bouche. «El
bote», ce petit radeau de misère qui vogue vers la terre de l'or et des
richesses est connu comme un timbre postal à Mostaganem. C'est un espoir
collectif dont tout le monde partage des miettes. Ici, le rêve ne se vend nulle
part, hélas, sauf sur la rive de la mer, face à la Méditerranée, à l'ombre des
tentes des estivants, à la croisée des sons des vagues et des cris des
mouettes. S'il se lève chaque matin, c'est pour tuer son temps, c'est son aveu.
Un aveu d'échec peut-être, mais sans davantage de fausses impressions. Dans le
marché du coin, il n'y a presque rien à faire, hormis la médisance sur les
mêmes types et la répétition des mêmes histoires, en regardant les gens
fortunés, - ceux qui ont pillé les caisses publiques et bien joué autrefois au
cirque des gladiateurs -, vivre. Le train de la vie ressemble à un cortège
funèbre dont les wagons transportent les ennuis et les plaintes de tout un
chacun. Que faire quand on n'a plus rien ? Que faire quand on travaille encore
au noir dans le marché à quarante ans pour se nourrir et nourrir sa famille ?
Que faire quand on n'a cotisé, ne serait-ce qu'une journée, aux assurances ?
Que faire quand on n'a aucune garantie pour notre vieillesse ? Que faire quand
l'espace qui nous réunit est mort ? Mort d'ennui et d'oisiveté. Discussions
oiseuses dans les cafés, luxure et matérialisme des esprits, déchéance des
comportements et décès des valeurs... Il a un seul rêve, celui de partir,
quitter les siens pour le meilleur. Le meilleur, dit-il, n'est que dans
l'ailleurs. Au soir, quand il rentre, il ne pense qu'à s'endormir pour regagner
son rêve, le vivre et le consommer, comme s'il est fraîchement marié avec une
sirène.
Le sommeil
est l'unique moment où il se met en contact avec son univers et s'y complaît.
Les étoiles, lui répète sa mère, porteront toujours une chance quand elles
s'alignent et captent la lumière du soleil qui couche. L'accompagneront-elles
alors dans sa virée nocturne vers le paradis des espoirs ? Ce dont il est sûr,
c'est que le rêve est le seul droit en Algérie qu'ils ne pourront plus lui
voler, quoi qu'ils fassent ! Eux, ce sont les fossoyeurs des espoirs. A
présent, seul le sommeil lui permet de concrétiser ses projets fantastiques,
sorte de châteaux de sable qui s'effondrent, une fois le jour levé. «Le sommeil
est merveilleux, s'enorgueillit-il médiocrement heureux, même s'il m'habitue à
la fainéantise et à l'idéalisme. Je sais bien que c'est une drogue, mais
j'aimerais bien vivre et mourir comme Don Quichotte... c'est fabuleux !»