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« Je profite! »

par Amine Bouali

L'une des expressions de la langue française les plus utilisées de nos jours, au quotidien, mais aussi son équivalent dans presque toutes les langues du monde (y compris l'arabe dialectal) c'est : «Je profite!», c'est-à-dire : «Je profite de la vie !».

Entendez revenir en boucle, sur toutes les chaînes nationales et internationales de télévision, dans la bouche des estivants, cet été et l'année durant, à chaque occasion, ce slogan répété à l'envi, et qui fait office dorénavant de ligne de conduite et de projet de vie quasi planétaires: «Je profite !».

Comme si la vie était d'abord un grand festin et qu'il fallait à tout prix se remplir la panse avant qu'il ne soit trop tard. Comme si, chaque matin, il ne nous restait plus que quelques secondes à vivre et qu'il fallait vite amasser le plus de bonnes choses possibles avant que tout ne soit liquidé. Comme si c'était l'ultime priorité ici-bas, la nouvelle religion des peuples, l'indépassable horizon.

Cet ambitieux programme («Je profite !») révèle l'état d'esprit du citoyen lambda de la société de consommation et du monde capitaliste, avide d'acquérir le maximum de produits proposés sur le marché transnational du bonheur (au sens basique et consumériste de ce terme) davantage préoccupé de jouir que d'exister, qui privilégie l'instant à la durée, le superficiel au profond, le banal au rare, soucieux avant tout de lui-même et de son bon plaisir.

Le souci exclusif du bien-être, s'il adoucit incontestablement la vie, ne l'enrichit pas toujours. C'est dans ce sens qu'il faut aussi entendre peut-être le fameux aphorisme de Frederik Nietzsche : «Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort».