Quand on sait que les murs de l'angoisse se resserrent
autour de nos jeunes qui troquent leurs galères dans ces quartiers pauvres,
combien nombreux d'ailleurs dans notre pays, pour ces visas de pacotille qu'on
leur octroie au compte-gouttes, ou pour des barques de fortune lesquelles, au
mieux, atteignent un exil de chimères, au pire, échouent en épaves dans les
profondeurs de la Méditerranée, il y a de quoi vomir du fiel. Quand on sait que les vies de la plus grande majorité de nos
citoyens sont détruites, arrachées au confort d'une existence digne, tirées en
arrière, vers un simulacre de justice sociale jamais accomplie, et voilée de
surcroît par les ombres persistantes de la bureaucratie et de la hogra, que les sous de la collectivité sont dilapidés dans
un train de gaspillage frisant l'insolence, que des milliers de diplômés,
longtemps sans emploi, accumulent les déconvenues et collectionnent des mégots
jetés par terre, faute de pouvoir s'acheter un paquet de cigarettes, comment
serait-t-il alors possible de pardonner la veulerie des maîtres de céans?
Quand on sait que les fils à papa, cette génération dorée de
la tchatche et de la chicha, biberonnée au luxe d'une rente viagère et aux
passe-droits, dansent et festoient dans l'opulence sur les linceuls des
souffrances matérielles de millions d'Algériens, que tout le tissu social sur
lequel s'appuie la nation s'est effiloché sous les coups de boutoir d'un
moralisme islamisant, aussi cupide que corrupteur, sciemment dilué dans les
esprits par des rentiers-prédateurs aux ventres creux, comment espère-t-on
expier les torts de ceux d'en haut ? Quand on sait que
des faux moudjahidine, doublés de faux milliardaires, ont fleuri dans le fumier
des transactions douteuses, sans avoir résisté ni trimé sérieusement, ne
serait-ce qu'une journée de leur vie pour le pays, que le sanctuaire de la
justice est pilonné par le mortier des sacs noirs d'argent pillé, que les
secteurs de la santé et de l'éducation sont bradés, sans aucun autre prétexte
que celui de la démission morale d'une élite nombriliste, pardonner ne
serait-il pas alors comme un serment d'allégeance à Judas? Sauf à abdiquer notre conscience, sauf à maquiller le crime
crapuleux de ceux qui ont sali, des décennies durant, l'Algérie, et à accepter
le destin de pantins désarticulés ou de marionnettes décérébrées, aux ordres
d'un projet sinistre visant à anéantir tous les ferments émancipateurs qui
courent dans les veines de la société, il nous appartient aujourd'hui de
refuser tout reniement infâme des luttes de ce brave peuple pour sa liberté, en
contrepartie d'une quelconque fausse concession, de ne jamais laisser pourrir
les acquis révolutionnaires des générations de l'indépendance dans les greniers
poussiéreux de l'histoire, là où tous les errements se conjuguent avec le temps
perdu, pour finir en renoncement. Impérieuse est la nécessité de
prévenir et d'éviter que se faufile le vent de la sédition dans nos rangs, que
l'on s'injecte le virus de la désunion qui sédimente le corps de ce patrimoine
d'expériences révolutionnaire inestimable dont regorge le pays, que l'on
abandonne le combat des idéaux pour une reconstruction subtile d'un système aussi
pourri que honni.