Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Une révolution confisquée ?

par Reda Brixi

Le Hirak va continuer sa marche, c'est certain. Chaque semaine il récolte des brives du bon vouloir du grand caid. Incarnant le pouvoir hérité, il tente d'abord de se maintenir et sauvegarder les reines avant qu'il soit balayé lui-même. La sortie miraculeuse du hirak est la résultante d'une longue frustration, d'un non-sens et d'exagération de dilapidation. Le milliard est devenu une nouvelle base de valeur. Le gros de la troupe patine dans la choucroute. L'Algérie des directeurs surfe sur la nappe pétrolière. Le bateau algérien sans boussole, ni projet de société, navige au gré de la corruption. Notre amiral, rivé dans son fauteuil, est réduit, son frère Said, s'est emparé de la bague de sidna soulimane depuis la première alerte et depuis nous subissons des vertes et des pas mûres. Le système en profite à fond jusqu'à nous noyer de cocaïne. Les prêts bancaires se multiplient, la classe dominante s'engraisse de biens mal acquis, le peuple encaisse l'angoisse.

La ligne rouge longtemps étant franchie, le réseau a concrétisé la colère d'un pouvoir d'achat faible qui nous ramène sur les pas des «Gilets jaunes» mais discret. Une manifestation de désobeissance civile pacifique à la Ghandi, grandi? comme un fleuve tranquille ! Les slogans pertinents font écho. La rumeur tourbillonne et menace, la grève sectionne quelques espoirs du pouvoir qui recule de plus en plus. Un «B» sur trois saute. Le flot récidive. Tient-il la route ? La composante de la foule est copieuse, elle se constitue du tout-venant.. Enthousiaste, certes, débordante, tente de se venger de slogans agressifs : «trouhou Gaa» «Système pourri, ya sérakine». Le défoulement est complet. Le pouvoir surpris, laisse «pisser le mérinos», quelques tentatives de montrer les dents n'aboutissent point. Les barrages à l'entrée d'Alger tentent de montrer leurs dents. Réaction timide. On bivouaque au pied de la poste, gaudriole en l'air, le peuple jubile. Il fait rempart à ses angoises. Intelligent, moqueur, il veut liquider la patine de l'histoire, défier l'usure du temps. Le tropisme de l'argent avait torpillé son existence. Coincé dans sa banalité comme un ballon dans l'équerre, il avance dans l'écume du jour avec trois pistons n'ayant plus pour rêve le danger de la mer. «La vie ailleurs» s'estompe. Son effet freine l'hémorragie des corps et des esprits. Stop leur dit El Hirak ! Fini la récréation, des millions défilent dans la rue, du corps de justice, des étudiants, des femmes, des jeunes étudiants, de l'Ansej, des vieux, toute la panoplie, renforcée par des milliers de villages du nord au sud, une nouvelle force qui défie la plus forte armée du continent. Que faire ? Renverser la vapeur en sollicitant le pouvoir du civil sur le militaire ! L'histoire qui veut se répéter depuis le congrès de la Soumam. L'autisme se fige.

Chaque mardi après les manifestations, le Gaid nous jette un os à digérer. Il est dans l'impasse d'un dilemme, il veut gagner du temps, espérant des fissures pour s'en sortir. Les gros poissons comme Said, Chakib Khelil, il les laisse comme atout. Le Hirak se contente de son déferlement hebdomadaire. Il a entamé sa révolution, mais ne sait quoi en faire, a-t-il l'ingéniosité de l'entretenir et de renverser la vapeur étouffante, une dualité, pouvoir/hirak se toise, la «silmia» dans la rue s'épanouit. Qui aura gain de cause ? Une épreuve dans le temps où l'enjeu est vital pour la démocratie, c'est un premier round sans arbitre en un temps incertain comme l'a souligné l'éditorial du Quotidien dernièrement, une course aux obstacles en perspective.