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Vendredi, acte II

par Moncef Wafi

Jeudi dernier et alors que je présentais mon roman devant une classe de master en français à l'université Oran 2, une étudiante, qui avait connu la décennie noire, m'a dit que ceux de sa génération, la mienne et tous les Algériens qui ont vécu les années de braise, ne marcheront pas ce vendredi par crainte de revivre cette période. Ma réaction, évidemment, est allée à l'encontre de son argumentaire non pas par esprit de contradiction ni par sentiment de prétention de détenir la vérité infuse, mais par défi. Non contre cette étudiante, elle ne m'a rien fait, mais contre toutes ces voix qui nous menacent par le retour du terrorisme.

Ce chantage à la peur, ce choix cornélien entre un cinquième mandat et des sigles terroristes égorgeant et semant la terreur, a été imposé par des gens dont le seul souci est de préserver leurs intérêts personnels ainsi que ceux de leurs commanditaires. Ces gens-là se considèrent comme les dépositaires de valeurs patriotiques alors que personne ne les a mandatés à ce propos. A entendre leur raisonnement, leur certitude à prévoir l'avenir proche, on est face à cette désagréable impression qu'ils peuvent convoquer cette menace sécuritaire à tout moment. Lorsque Sidi Saïd, Benyounès ou Ghoul évoquent cette question, on est en droit de s'interroger sur leur assurance à prédire l'apocalypse pour ce pays alors que la décennie noire n'a jamais, au grand jamais, été le fruit d'un changement politique. Ces gens n'hésitent pas à comparer ce qui se passe aujourd'hui aux veilles de l'avènement du terrorisme, oubliant assurément que les graines de la violence ont été semées par le pouvoir en place. La montée de l'islamisme politique a été tolérée puis encouragée par ceux-là mêmes qui, aujourd'hui, viennent nous mettre en garde contre «l'aventurisme», les «infiltrations étrangères» et les ennemis «marocains» et «israéliens». Les Algériens ne sont plus dupes et le spectre du terrorisme n'est plus une arme de dissuasion massive puisque la maturité du peuple semble prendre le pas sur toutes les manœuvres de récupération auxquelles on peut s'attendre.

La rue est consciente que la pente est glissante et que les peaux de bananes sont aussi nombreuses que les peaux de vaches qui revendiquent une continuité dans les affaires, dans la rapine et le détournement. Les Algériens ont marché, hier, comme ils l'ont fait tout au long de la semaine dernière, comme ils le feront les prochaines heures et jours. Ils ont marché, prouvant, une fois de plus, que le sens de la responsabilité n'est pas simplement qu'une ligne qu'on ajoute dans un CV bidonné pour grimper l'échelle glissante du pouvoir. Au moment de cette chronique, le calme préside toujours cette journée printanière qui augure de lendemains loin des prévisions des fossoyeurs de l'Algérie.