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L'exorciste de Friedkin à Cherkess

par Moncef Wafi

En 1973, le monde découvrait, horrifié, l'exorciste de William Friedkin, adapté du roman éponyme de William Peter Blatty. Un voyage au cœur de la possession et des pratiques absconses de l'église.

En 2019, les Algériens, médusés, découvraient, en live, sur les plateaux télés un exorcisme en bonne et due forme. Si le film était une pure fiction inspirée de faits authentiques, une émission invitait un monde, jusque-là réservé aux initiés, chez les foyers des familles algériennes, à une heure de grande écoute. Le pitch : une femme se fait exorciser par le cheikh vedette de la chaîne, et un exorciste ça ne s'invente pas. Elle est présentée comme étant possédée par un djinn, le bien nommé Cherkess qui, selon ses dires, l'a épousée depuis 15 ans et qu'il aurait même eu des enfants avec elle. Au-delà de l'incongruité de l'émission et des scènes surréalistes diffusées, l'Algérie des années 2000 a balisé le chemin à de telles images en redonnant vie à des pratiques obscurantistes et à un charlatanisme mercantile qui privilégient le recours au surnaturel piégé au détriment d'une raison oubliée. De cette Algérie des Belahmar, des Zaïbet et de leurs semblables, la rationalité a fait ses bagages, prenant le chemin de l'exil avec les dizaines de milliers de cerveaux qui ont quitté la scène. La norme est devenue à celui qui chuchote à l'oreille du démon, qui baigne dans la sorcellerie, qui prend ses lettres de références du raqi du coin.

On n'est plus dans la spiritualité, on nage dans l'irrationalité qui a conduit le pays à regarder du côté des zaouias pour connaître son sort. On se rapproche d'un obscur raqi pour s'ouvrir les voies d'Alger et dans son CV, une lettre de recommandation d'un exorciste assermenté.

Pourtant, ce n'est pas une surprise de voir cette chaîne, qui défie la bonne séance, continuer son travail de sape des fondements moraux de la société.

En absence d'un rappel à l'ordre, toutes les chaînes télés poubelles ont fait du voyeurisme, du mauvais goût et de l'amateurisme, portant atteinte à l'ordre public, un credo éditorial. Des programmes indigents qui charrient une violence inouïe qui reste toujours à l'affiche malgré les timides remontrances du ministère de tutelle. Et ce cocktail, entre une mentalité engluée dans un profane religieux et une chaîne télé imposée, est tout simplement détonnant offrant à la postérité un remake de l'exorciste mais tellement de mauvaise qualité.