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L'Autre

par Moncef Wafi

L'Autre, mon frère qui soutient mon regard à travers le miroir. Qui me dévisage quand mon regard accroche son visage et qui me sourit en guise d'excuses. L'Autre, c'est presque moi ou tout simplement le reflet de mon âme qui irrigue ses veines. Son sang est mien, sa langue est nôtre et sa peau recouvre ma laideur. Il écoute mes murmures, répond à mes soliloques et écrit sur la paume de sa main une prière pour mon salut. Je pense que son Dieu est différent et lui pense la même chose du mien, puis on décide de se retrouver au milieu, au début de l'humanité, à la fin des temps.

L'Autre, c'est ma sœur qui joue à la marelle, qui court, une poupée échevelée à la main, qui m'appelle mon frère parce qu'elle a oublié mon nom. Elle rit quand je lui réponds dans une voix qu'elle ne connaît pas et me taquine pour la couleur de ma peau. Elle s'arrête de parler quand le tonnerre gronde et que ses oreilles saignent à cause de la méchanceté des autres.

L'Autre, il est nous mais notre regard l'agresse, nos paroles l'assassinent et nos actes le déshumanisent. Il est la victime, nous sommes le bourreau.

Ailleurs, nous sommes la victime, il est le bourreau. L'humanité n'est en fin de compte que la définition qu'on donne d'un point de vue précis. Nous sommes la proie quand l'Autre est le chasseur et nous courrons après son cadavre en sursis lorsqu'il n'a que ses pieds pour prétendre à un autre lever de soleil. Ne nous sépare qu'un prisme, un angle de vue arbitraire qui fait que la bête en nous prend le gouvernail ou l'être redevient humain. Juste une combinaison d'effets, l'alignement des planètes et la bonne fortune qui vous fait un clin d'œil coquin pour que nous devenions l'Autre et que lui nous regarde à travers le miroir.

Au fait, l'identité n'est qu'un simple papier administratif qui nous définit, pendant toute notre vie, en tant que sexe, ethnie, race et religion. Elle est l'arme des plus lâches qui se cachent derrière la couleur d'un teint pour tirer sur la foule.

Elle est le livre sacré des plus faibles qui prennent prétexte d'un accent trop prononcé pour actionner la guillotine. Elle est l'excuse fatale des plus perfides qui décrètent que votre Dieu n'est pas acceptable pour vous envoyer en enfer.

L'identité est ce poison qui coule dans le sang des bourreaux qui jouent à Jeanne d'Arc et déclenchent des guerres où ils ne seront jamais tués. Elle est cette maladie des temps anciens qui frappe derechef, avec insistance, à la porte des nations pour ériger de nouvelles frontières et interdire l'accès à l'Autre qui vous regarde de derrière les barbelés.