Huit
Algériens sont toujours portés disparus au large de la Sardaigne. Morts noyés
ou ayant gagné la terre ferme à la nage, nul ne le sait encore et les
opérations de recherches se poursuivent. Faut-il encore et toujours écrire sur
un phénomène qui ronge le pays ou faire semblant que les centaines de
boat-people qui quittent, chaque mois, les côtes algériennes ne sont qu'un
phénomène de mode, une lubie passagère ? La question n'est plus personnelle,
intéressée, mais doit nécessairement revêtir un caractère d'urgence nationale
et se poser à tout le pays qui assiste, impuissant, à une véritable saignée de
sa jeunesse qui s'en va mourir ailleurs. Un député sarde l'a rappelé : «ceux
qui traversent la mer meurent souvent pour rechercher l'illusion d'un plus
grand bien-être». Ce n'est pas qu'il ait pitié de nos cadavres gonflés d'eau de
mer, mais il veut dissuader les jeunes à tenter l'aventure. Quel que soit son
objectif, il n'a pas totalement tort puisque le nombre des harraga
qui se noient reste, pour le moment, inconnu, sauf peut-être des poissons de la
Méditerranée. Faut-il, alors, à chaque drame naval, rappeler les raisons qui
poussent ces milliers de jeunes à laisser famille, études et boulot, quand cela
existe, derrière leur dos et à ramer à contre-courant. Même s'ils savent
pertinemment que la situation, là-bas, a irrémédiablement évolué en leur
défaveur et que mettre le pied sur le sol italien ou espagnol n'est pas un gage
de réussite, ils n'hésitent toujours pas à mettre le «bôté»
à la mer, à payer le passeur et vogue la galère. Quand ce n'est pas un linceul
liquide, ils ont droit à un séjour dans les centres de rétention, l'antichambre
d'un billet retour vers le port d'embarquement. Pourtant, quelque part dans
leurs certitudes, la seule porte de sortie de ce pays en solde est de jouer
avec la mort, de tenter de tordre le cou au destin et d'essayer de changer le
cours de leur vie. L'entreprise est colossale et au bout du rivage, une
matraque de policier ou finir comme un vieil hameçon rouillé. Faut-il les
excuser, les plaindre ou les culpabiliser ? Toutes les tentatives de limiter
ces traversées, de les contenir et de les éliminer ont fini par échouer pour
une raison ou une autre et tant que les Algériens se sentent prisonniers dans
leur propre peau, ils tenteront toujours de faire le grand saut. Faut-il alors
interdire l'accès à la mer ou seulement de promettre un pays plus vivable pour
ses habitants ? Connaissant les mœurs dirigeantes, la première proposition est
la plus solvable. Que Dieu ait pitié de l'âme de tous les harraga
morts.