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L'histoire nationale de la violence

par Moncef Wafi

L'Algérie n'en finit plus de brasser cette violence multidimensionnelle devenue une seconde peau, marque déposée à l'adresse du monde extérieur et du miroir national. La violence partout, de partout, vomie par les bouches et portée en étendard à l'intérieur des murs. Contextualisée, officialisée du plus haut des fenêtres de la République, actée par les décrets et les décisions personnelles. L'impression que le pays n'a que cette image négative à exporter est de plus en plus lancinante, distillée dans les faits divers et médiatisée outrageusement ailleurs. La violence n'est pas seulement dans l'acte physique, elle se trouve dans les détails, tout comme le diable qui se nourrit des malentendus.

Elle est telle qu'elle fait désormais partie de notre ADN, coincée entre les gènes de la couleur du teint et la faculté de rire de notre propre mort. Elle nous habite, nous habille et nous la cultivons dans cette haine qu'on crache sur nos valeurs. La violence est mondiale, algérienne avant tout, parce que nous l'avons créée, alimentée par nos propres ambitions, quitte à vendre l'âme d'un pays tout entier. La violence est en nous car nous la propulsons au stade de l'éducation de nos enfants. On répond à une question têtue d'un enfant par un regard noir, une insulte à sa race ou une gifle résonnante. Sans le vouloir, sans même y réfléchir. Par réflexe. Par atavisme. La violence est dans l'acte et la parole. Dans le geste et la symbolique. Elle se décline dans le discours politique, dans l'injonction du gouvernement, trouve sa source dans l'impunité nationale et la corruption. La violence est verbale, physique et personne n'y échappe. Elle est dans les mœurs, dans les tribunes à vouloir faire du mal à l'autre gratuitement, dans le passage de plus en plus aisé au meurtre. Dans la provocation intellectuelle et dans la riposte irréfléchie.

La violence est instruite comme elle n'a pas de diplôme, sortie de l'école où elle est enseignée au bout d'une règle en bois ou d'une langue maladroite. Elle mange, boit comme elle peut se déchaîner à jeun. Elle a épousé l'histoire du pays, ses contours, sa philosophie et ses hommes. Elle a colonisé les cœurs et le quotidien, fait son lit dans nos veines et les manuels scolaires. La violence est une histoire nationale, apprise par cœur par l'Algérie des uns et des autres. Celle de l'arrière-cour et des vitrines officielles. La violence n'est plus un acte, la haine n'est plus un sentiment, elles ont fini par créer un pays cannibale qui mange ses propres enfants.