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Campagne anticipée

par Mahdi Boukhalfa

Le gouvernement Ouyahia ne parle pas d'une même voix et laisse même apparaître de profondes fissures dans un édifice, il est vrai, pas très cohérent ni équilibré. Il est d'autant inquiétant que des discordances au sein du gouvernement apparaissent à quelques mois de la tenue de l'une des plus indécises élections présidentielles. Et, surtout, à moins qu'il ne s'agisse d'un plan en train d'être appliqué pour annoncer la candidature officielle du président Bouteflika à sa propre succession au mois d'avril prochain, d'un pathétique bras de fer entre un chef de gouvernement et un de ses ministres. Sinon comment établir une bonne lecture des déclarations de Tayeb Louh, garde des Sceaux, à l'encontre de son Premier ministre au moment où le landerneau politique national tente de lire dans une boule de cristal si le président Bouteflika va vraiment, en dépit de son état de santé, postuler pour un 5ème mandat ?

Tayeb Louh est très proche, sinon il fait partie du cercle du président, et c'est surtout avec cette couverture, plus que celle de sa fonction officielle au sein du gouvernement Ouyahia, qu'il s'était prononcé lundi à Oran sur certains aspects de la gestion de l'épineux dossier des cadres injustement emprisonnés durant la décennie 1990. Bien sûr, beaucoup y ont vu, dans cette sortie qualifiée par certains milieux de l'opposition et de la société civile d'inamicale envers le SG du RND, non pas une attaque délibérée et frontale contre M. Ouyahia, un commis de l'Etat du reste capable de se tromper, comme un monsieur «tout-le-monde», mais plutôt comme le signal de départ de la campagne présidentielle au profit de M. Bouteflika. Sinon comment interpréter le fait que le ministre de la Justice ait rappelé, même insidieusement, que c'est le président qui a décidé d'annuler les hausses exorbitantes des taxes sur les documents administratifs biométriques, comme le passeport ou la carte d'identité nationale, que le gouvernement Ouyahia avait projeté d'inclure dans le projet de loi de finances complémentaire 2018 ?

En réalité, le voyage du ministre de la Justice à Oran a pris les contours d'un début de campagne électorale au profit du président. Certains ne sont pas loin de penser que ce sera vraisemblablement M. Tayeb Louh qui devrait prendre la barre de la campagne électorale du président Bouteflika. L'autre seconde lecture des attaques de M. Louh contre son Premier ministre et SG de la seconde force politique du pays serait que ni le FLN, encore moins le RND ne sont vraiment maîtres de leur destin politique, encore moins de la décision de soutenir la candidature de M. Bouteflika à un 5ème mandat. Car si certains voient dans l'attaque inexpliquée et subite de Louh contre M. Ahmed Ouyahia un désaveu franc et direct de la gestion du dossier des cadres injustement incarcérés à la fin des années 1990, d'autres ne sont pas loin de penser que la manœuvre n'a qu'un but, utiliser Ouyahia pour lancer officieusement la campagne présidentielle de M. Bouteflika.

Car le Premier ministre actuel, celui qui cumule le plus de postes et de longévité au pouvoir, depuis maintenant un peu plus de 22 ans, encaisse bien et résiste à toutes les charges. C'est le secret de sa longévité et il sera, à coup sûr, en pole position sur la grille de départ des plus farouches soutiens à un 5ème mandat de M. Bouteflika. En bon et loyal commis de l'Etat, l'homme ne va pas se déjuger ni se dérober, une fois encore, à une implacable vérité, celle de jouer les seconds rôles. Quant au ministre de la Justice, il serait déjà dans une autre configuration, celle de la précampagne électorale de la présidentielle de 2019.