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Partir, c'est mourir tout court

par Moncef Wafi

Jean-Luc Roméro, lui, personne ne le connaît. Enfin chez nous, personne n'a entendu parler du mec, ni en bien ni en mal. Alors qui est-il ? Lui, c'est le président de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité et il vient de déclarer que «les gens fuient à l'étranger pour mourir», parlant bien sûr de leurs gens, les Français, il n'en a cure de nos gueules de quart-monde. Le gus s'indigne des lois actuelles sur la fin de vie en France et dénonce que son pays enregistre le plus grand taux de suicide chez les seniors et qu'on meurt mal là-bas, chez eux. On les plaint les pauvres, obligés de s'exporter pour mourir en paix alors que nous c'est juste le contraire qui se passe. Nos gens fuient à l'étranger, pas spécialement en France, mais si c'est là-bas, c'est encore mieux, pour vivre dans la dignité. Ou du moins essayer de vivre une vie qui ressemble à celle des humains considérés comme tels. Que faire donc ? Eux, ils veulent venir, pas forcément chez nous, mais on peut leur faire une offre de service, et nous, on veut coucher nos cadavres dans leurs HLM et manger leur pain, même rassis. Trouvez un deal n'étant pas la chose la plus difficile entre gens de bonne volonté, on pourra proposer un échange entre les deux pays, un jumelage quoi, une sorte de pont aérien, une navette maritime ramant à contre-courant. L'essentiel, c'est qu'on trouve une plateforme d'entente cordiale qui satisfasse toutes les parties en présence. Leurs vieux contre nos jeunes. Un ancien qui veut mourir et un cadet qui veut vivre. Chez nous, la mort est gratuite puisqu'on meurt de tout et de rien. Pas d'effort à faire ni des dispositions à prendre. On meurt, point barre, on ne cherche pas d'autres explications là où il n'y a pas. On s'achète un bout de tissu, on creuse une tombe et puis c'est tout. Un programme intéressant pour ceux qui veulent en finir. N'ayant pas le courage de se suicider ou c'est aller contre leurs croyances, l'Algérie serait disposée à leur faciliter le trépas, le passage à l'autre rive comme dirait Achille de Troie ou de quatre, je m'en souviens plus. Bref, l'endroit idéal pour casser sa pipe, tirer sa révérence sans passer par la case euthanasie et toutes ses complications administratives.

Si vous êtes vieux, malade, désespéré par ce qui vous reste comme heures dans cette vie, alors n'hésitez plus, prenez un billet aller sans retour pour l'Algérie. Résultat garanti, la mort au rendez-vous mais pour la dignité, il faut passer un autre jour ! La brochure publicitaire est fin prête et les tour-opérateurs font déjà la promotion du produit avant que les Tunisiens ne nous piquent l'idée. Pays jeune géré par la noblesse gérontologique, il est fort à craindre que ces seniors, à défaut d'une place au cimetière, ne se retrouvent responsables chez nous.